La corruption préoccupe au plus haut niveau sur le continent, à tel point que le 30e Sommet de l’Union africaine porte sur le thème « L’Afrique à l’assaut de la corruption ». Cette fiche d’info présente les dernières estimations évaluant le phénomène et son impact sur le continent.
Pauvreté, faible développement social, fidélité de groupe, patrimonialisme, sont les causes immédiates de la corruption en Afrique. Les conséquences sont nombreuses.
Dans son dernier rapport « Mesurer la corruption en Afrique IV », la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) souligne que la corruption est la cause et l’effet d’une mauvaise gouvernance et d’institutions faibles, et constitue l’un des principaux obstacles à la transformation structurelle du continent.
Les baromètres de la corruption
L’Union africaine a adopté, en juillet 2003, une Convention sur la prévention et la lutte contre la corruption, laquelle est entrée en vigueur en 2006.
Plus d’une décennie après, seulement 5 des 49 pays africains figurant à l’Indice de perception de la corruption (IPC) ont passé la barre de 50 : le score de performance va de 0 à 100, le score le plus élevé traduit la meilleure situation.
Hormis le Botswana (60 points/ 35e), le Cap-Vert (59 points/38e), l’Île Maurice (54 points/50e), le Rwanda (54 points/50e ex æquo) et la Namibie (52 points/53e), tous les autres pays africains figurant sur cet indice ont obtenu un score inférieur à 50.
La Somalie (10 points/176e), le Soudan du Sud (11 points/175e), le Soudan, la Libye (14 points/170èmes) et la Guinée-Bissau (16 points/168e) sont les pays africains affichant les notes les plus basses; ils figurent d’ailleurs parmi les 10 derniers au classement général.
A l’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance en Afrique, quatre principaux indicateurs évaluent le niveau de corruption sous différents aspects. Le score de performance étant le même que celui de l’IPC
De 2014 et 2015, Afrobaromètre a effectué un sondage dans 36 pays d’Afrique. Les enquêtés ont répondu à la question : « À votre avis, au cours de la dernière année, le niveau de corruption dans votre pays a-t-il augmenté, diminué ou est resté le même ? ».
« La majorité (55%) des Africains affirment que la corruption a augmenté « légèrement » ou « beaucoup » par rapport à l’année précédente », rapporte ce sondage publié en juillet 2017.
Des scores faibles pour l’Afrique
D’autres outils comme l’indice de gouvernance mondial de la Banque mondiale et le Rapport mondial sur l’intégrité, entre autres, mesurent la corruption sous différents critères. Mais en général, les scores affichés par l’Afrique sont peu reluisants.
« La Convention des Nations unies contre la corruption exige de chaque Etat membre à un organe indépendant de lutte contre la corruption. Elle insiste aussi sur la coopération technique et l’échange d’information », rappelle Elimane Haby Kane, expert en gouvernance et Atlantic fellow pour l’équité sociale et économique.
« Ces instruments (Conventions de l’UA et de l’ONU contre la corruption) demeurent encore peu efficaces du fait des faibles résultats obtenus depuis leur mise en place. Cependant, certains cas importants de coopération internationale ont été traités en Afrique – notamment au Nigeria, en Angola, en Guinée Equatoriale, au Ghana – en usant des dispositions de ces conventions et surtout de lois étrangères comme le Foreign Corrupt Practices Act des Etats-Unis d’Amérique », souligne-t-il.
Diverses formes de corruption
Pour la CEA, « il est difficile de savoir quel type de corruption a le plus fort impact sur les efforts de mobilisation des ressources de l’Afrique, car chaque dollar compte ». Mais l’organe renseigne que « dans les années 90, l’Union africaine estimait déjà que chaque année plus de 148 milliards de dollars étaient soustraits au continent par ses dirigeants, soit 25 % du PIB annuel perdus pour cause de corruption ».
Un chiffre qui est revenu à la Une de certains médias, tout récemment. Intervenant dans le cadre de la 32e session ordinaire du Conseil exécutif de l’Union africaine à Addis-Abeba, le 25 janvier 2018, la secrétaire exécutive de la CEA, Vera Songwe, a renchéri : « 148 milliards de dollars sont drainés hors du continent par diverses formes de corruption, ce qui représente environ 25% du PIB moyen de l’Afrique ».
Publié en 2015, le rapport du panel de haut niveau sur les flux financiers illicites en Afrique présidé par l’ex-chef d’Etat sud-africain, Thabo Mbeki, révèle que le continent africain perdrait chaque année 50 milliards de dollars. Cette perte est susceptible d’être plus importante, selon le même document.
D’autre part, l’étude, Illicit Financial Flows to and from Developing Countries: 2005-2014, publiée en mai 2017 par Global Financial Integrity (GFI), s’intéresse aux flux financiers illicites du commerce total des pays en développement en 2014, « la dernière année pour laquelle des données complètes sont disponibles ».
Il en ressort qu’en Afrique subsaharienne, les sorties financières illicites sont estimées entre 36 et 69 milliards USD et les entrées financières illicites, entre 44 et 81 milliards USD.
« Près de 70.000 nouveaux pauvres chaque année au Sénégal »
« Au Sénégal, deux économistes ont mené des études poussées qui ont révélé que la corruption contribue à créer chaque année près de 70 000 nouveaux pauvres ( Pr Cabral, 2010 ) et qu’un point de l’indice de perception de la corruption équivaudrait à un point de croissance perdue ( Pr Abdoulaye Seck, 2011) », relève Elimane Haby Kane.
Une étude sur la perception et le coût de la corruption réalisée par Synchronix sous la houlette de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption du Sénégal et du Programme des nations unies pour le développement (PNUD), révèle un montant global de pots-de-vin payés estimé à 118,44 milliards de F CFA entre mai 2015 et mai 2016. «Ce qui équivaut à presque la totalité des revenus tirés de l’exploitation des ressources minières, pétrolières et gazières, 116,8 milliards de FCFA, lors de la même année », précise M. Kane.
«Difficile de quantifier objectivement l’impact»
Elimane Haby Kane souligne que « la corruption est un obstacle majeur au développement économique car elle dénature les dépenses publiques et la concurrence, portant ainsi atteinte à l’efficience et à la croissance. Elle décourage les investissements et les efforts du secteur privé, en limitant ainsi des opportunités économiques et d’emploi ».
« Il est difficile de quantifier objectivement l’impact de la corruption caractérisée par le secret entre les protagonistes et l’indisponibilité de statistiques suffisamment élaborées sur le phénomène en Afrique », soutient l’expert en gouvernance.
Il relève, cependant, que « le rapport Mbeki sur les flux financiers illicites traite de la question en lui donnant une proportion marginale par rapport aux transactions commerciales et à la criminalité financière ».
Pour la CEA, le manque de données, le manque d’efficacité attribuable à cette même corruption, la difficulté à suivre les ressources à la trace, les compétences et les capacités insuffisantes constituent les principales « limites à l’évaluation de la corruption en Afrique ».
Edité par Assane Diagne