Paix et Droits de l'homme

Combattre l'injustice et l'arbitraire pour construire la Paix

16 mai 2015

NOTE DE POSITION CONJOINTE DE LA COMMISSION DIOCESAINE JUSTICE & PAIX (CDJP) ET DE LA RENCONTRE POUR LA PAIX ET LES DROITS DE L’HOMME (RPDH)

Campagne de terreur des services de Police en République du Congo
Arrestations arbitraires de jeunes et lancement sur fond d’intimidations de l’opération Mbata ya Ba kolo à Pointe-Noire

I.Contexte

La Commission Diocésaine Justice & Paix (CDJP) et la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) et se réjouissent de la libération le 27 avril 2015 par les services de police de Pointe-Noire, des huit (08) jeunes incarcérés plus d’une semaine durant, dans le cadre de la vente de CD taxés de subversifs par les autorités policières du département de Pointe-Noire. Les deux organisations demeurent toute fois consternées par la poursuite de cette campagne d’arrestations arbitraires des vendeurs de CD au grand marché de Pointe-Noire, CD portant, cette fois, sur le meeting tenu par l’opposition le dimanche 3 mai 2015 au rond point Lumumba.

De même, le vendredi 08 mai 2015, les populations de Pointe Noire ont été stupéfaites face au déploiement sur  les artères de la ville d’un important arsenal policier destiné, en principe à la répression des émeutes. L’opinion s’est ensuite rendue compte que cet arsenal policier à bord duquel se trouvaient des éléments de la Police Nationale, venus de Brazzaville, était destiné à l’exécution de l’opération de Police dénommée Mbata ya bakolo. Ainsi, depuis le 14 mai 2015, date du lancement officiel de ladite opération, les ressortissants étrangers en situation irrégulière font l’objet d’une véritable chasse à l’Homme de la part des policiers. Ce faisant, plusieurs exactions, voire atteintes aux droits de l’Homme sont signalées.Ces actes, contraires aux règles et principes d’un Etat de droit, se caractérisent notamment par des intimidations et menaces, des violences, des traitements inhumains et dégradants ainsi que des arrestations arbitraires.

 

II. Des arrestations arbitraires:

NGOUBILI Luc, de nationalité congolaise et vendeur de CD au grand marché de Pointe-Noire, a été interpellé par la police et placé en détention le mardi 12 avril 2015 au Commissariat du 1er Arrondissement de la ville de Pointe-Noire, Emery Patrice LUMUMBA, pour vente de CD sur le meeting de l’opposition du 3 mai 2015 à Pointe-Noire. Le détenu n’a accès à aucune alimentation depuis son interpellation, et fait l’objet de battues régulières de la part de ses codétenus, sous le regard indifférent des policiers.

MILANDOU Clève, vendeur de CD au grand marché âgé de 22 ans, a vu son matériel confisqué par la police ce même 12 avril 2015, au motif de vente de CD à caractère politique, pouvant inciter à la révolte.

KONDE Tony, âgé de 25 ans et vendeur de CD, est porté disparu depuis le 12 avril. Depuis l’interpellation du premier cité et la saisie du matériel du second, la famille du troisième est sans nouvelles de lui. Les cas susmentionnés ne sauraient être exhaustifs, dans un contexte où la police pourchasse littéralement tous ceux qui d’une manière ou d’une autre, relaient le meeting de l’opposition. Les deux organisations ne s’expliquent pas ces pratiques d’une autre époque car dans toute démocratie, la force publique se veut républicaine et apolitique ; ainsi elle ne peut en aucun cas s’impliquer dans les affaires politiques et réprimer systématiquement tous les courants susceptibles ou non d’être opposés à la majorité. De plus, la liberté d’expression est garantie et la censure totalement prohibée, à travers notamment l’article 19 de la Constitution du 20 Janvier 2002, ce qui implique la liberté pour ces jeunes de vendre et diffuser des Cd de leur choix, étant donné que le meeting dont il s’agit a été par dessus tout public.

La CDJP et la RPDH sont d’autant plus scandalisées que de tels actes surviennent quelques semaines seulement après la relaxe de jeunes arbitrairement détenus dans une affaire similaire et le décès de trois personnes dans les geôles des suites de mauvais traitements à Pointe-Noire (1), faits pour lesquels aucune réponse adéquate n’a encore été apportée à ce jour.

 

III. Des mauvais traitements suite à l’opération Mbata ya bakolo :

La CDJP et la RPDH n’ignorent pas du tout les enjeux sécuritaires qui motivent cette opération. Quoi qu’il en soit, le déroulement de cette opération ne devrait en aucun cas se décliner en occasion de trouble et d’inquiétude pour les populations et justifier les graves exactions envers celles-ci. En effet, nos organisations ont été témoins d’interpellations de sujets étrangers dans des conditions inhumaines. Ces interpellations, survenues en public, ont engendré de grandes bousculades, certains individus pris comme des malfrats, le tout au mépris total de la dignité humaine.

Dans le quartier OCH, proche du pont Bakadila, certains domiciles ont été défoncés par les policiers, dans la recherche d’étrangers en situation irrégulière, laissant lesdites installations en l’état après leur départ, sans aucune autre forme de procès.

Dans le quartier Mahouata, une jeune congolaise, âgée de trente ans, dénommée MABIALA Sandrine a été arrêtée et incarcérée au commissariat de police de l’Arrondissement 1 Lumumba le jeudi 14 mai 2015 dans le cadre de cette opération. En effet, cette dernière a été prise pour une ressortissante de la République Démocratique du Congo. Elle a été libérée des heures après que les parents de l’infortunée aient présenté sa pièce d’identité aux services de police.

Les ressortissants étrangers ainsi interpellés, des dizaines, de nationalités diverses, ont été répartis dans des centres inadaptés. Au commissariat de LUMUMBA par exemple, plus d’une vingtaine d’entre eux y compris des femmes et des enfants, ont été placés dans des conditions inhumaines, sans accès aux soins, encore moins à une alimentation conséquente ni couche décente. Cet état de fait témoigne du manque d’accompagnement et de l’impréparation qui caractérise une fois de plus le lancement de cette opération à Pointe-Noire, car la réponse en termes d’encadrement et de prise en charge des personnes en attente d’expulsion est tout à fait déficitaire et laisse entrevoir des dysfonctionnements manifestes au niveau des initiateurs de ladite opération. Une chose est d’expulser, une autre est de le faire dans des conditions viables et recommandées.

 

IV. De l’intimidation utilisée comme mode opératoire dans une opération de police supposée régulière:

Les pratiques actuelles traduisent une campagne d’intimidation visant à installer un climat de psychose au sein de la population. Le lancement de cette opération à Pointe-Noire soulève un ensemble de préoccupations sur la question de savoir s’il était nécessaire d’exhiber sur les grandes artères de la ville de Pointe Noire un arsenal de répression des émeutes pour ce qui devrait être une simple opération de contrôle des étrangers? Ce déploiement viendrait-il corroborer l’opinion selon laquelle cette forte présence policière viserait à conditionner les populations de cette ville suite au précédent meeting de l’opposition, qui a occasionné une forte mobilisation populaire autour du non au changement de la Constitution du 20 janvier 2002 ?

La CDJP et la RPDH jugent inacceptables de faire venir de Brazzaville des éléments de la Police Nationale pour exécuter une opération de contrôle des ressortissants étrangers alors que la ville de Pointe Noire est bel et bien pourvue d’unités de Police compétentes à même de mener une simple opération de contrôle d’identité .

L’incidence financière d’un tel déploiement policier sur le budget de l’Etat en pleine période de crise (suite à la chute du baril de pétrole, principale ressource du pays) est criarde, à un moment où la priorité serait d’intensifier la lutte contre la pauvreté et la misère, garantir l’accès des populations aux services sociaux de base, notamment l’eau potable et l’électricité sans oublier l’accès aux soins de santé à des coûts abordables pour toutes les bourses.

 

Tout en reconnaissant, la mission régalienne de l’Etat en matière de sécurité des biens et des personnes, les deux organisations s’inquiètent au sujet des activités dites de maintien de l’ordre public organisées par la Police à Pointe Noire, activités aux conséquences fâcheuses sur l’exercice des droits humains et de respect de la dignité de la personne humaine. Ces inquiétudes se justifient davantage dans la mesure où les paisibles populations de la capitale économique ont été plongées et demeurent encore dans la psychose, qui inspire chez beaucoup d’habitants  un sentiment de pessimisme sur le maintien de la paix sociale.

Et comme si cela, ne suffisait pas, cette psychose reste aggravée par la démolition des étalages au Centre ville de Pointe Noire par des agents de la Police Nationale depuis le 7 mai 2015. En effet, l’article 22 de la DUDH stipule que : « Toute personne en tant que membre de la société a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité  et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays ». De même, l’article 25 (1) dispose: « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires (…) ». Face à la situation de paupérisation dans le pays,  les populations congolaises se débrouillent au quotidien pour survivre. En conséquence, l’Etat s’est trouvé confronté à une occupation anarchique de la place publique par des petits commerces et des vendeurs à la sauvette. Les opérations de casse, de déguerpissement, de dégagement de la voie publique entreprises par les pouvoirs publics actuellement dans la ville de Pointe-Noire entrainent des violations des droits de l’homme en ce que les personnes déguerpies sont abandonnées à elles-mêmes et ne bénéficient d’aucune protection juridique adéquate, leur recasement n’est pas effectif. « Les éléments des forces de l’ordre sont venus tout casser au motif que nous sommes sur la voie publique. Et nous ne savons toujours pas ce que les pouvoirs publics prévoient de faire pour nous. », a déclaré une vendeuse du marché plateau du Centre ville de Pointe-Noire. Les personnes sont également victimes d’atteinte à leur intégrité physique. Certes, le déguerpissement a une existence légale au Congo. Il trouve son fondement juridique dans la loi n°2000 du 30 décembre 2000 portant régime de la propriété foncière au Congo et la loi n°24-2008 du 22 septembre 2008 portant régime foncier en milieu urbain. Il sert donc à mettre fin à une situation d’occupation illégale et anarchique d’un terrain. Ces opérations présentent des conséquences socio-économiques dramatiques pour les personnes délogées. Les démolitions des étalages et boutiques dans le cadre de ces opérations n’aboutissent en réalité qu’à déplacer le problème d’un secteur de la ville à un autre, la brutalité de ces opérations étant alors porteuse d’importants risques de remous sociaux.

 

La Commission Diocésaine Justice et Paix de Pointe Noire (CDJP) et la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) interpellent les responsables de la Police Nationale, de la municipalité, du gouvernement, l’opinion publique nationale et internationale sur les risques de telles opérations dans le cas où elles sont menées en violation des règles et procédures prévues en la matière. Les ratées de l opération ya ba kolo dans les autres villes où elle a déjà été menée, notamment à Brazzaville, devraient servir de leçons au regard de toutes ces violations des droits humains qui ont été perpétrées par les agents de Police dont certains ont été radiés des effectifs de la Police Nationale.

Le Congo étant un pays signataire des instruments juridiques internationaux de protection des droits humains, il serait regrettable que le droit au respect de la dignité de la personne humaine, le respect de la  liberté et le principe sacro-saint de non-discrimination tel que réaffirmé à l’article 26 du Pacte international relatif aux Droits Civils et Politiques ne soient violés pour quelque raison que ce soit.

 

V. Recommandations :

En conséquence, ces deux organisations en appellent à un véritable sens de responsabilité de la Direction Générale de la Police Nationale dans le sens de :

 

  • Libérer sans conditions NGOUBILI Luc, détenu arbitrairement, et restituer le matériel saisi de MILANDOU Clève ;
  • Faire la lumière sur la disparition du jeune KONDE Tony ;
  • Garantir l’intégrité physique et psychologique des concernés et cesser toute intimidation à l’égard des vendeurs de CD dans la ville de Pointe-Noire ;
  • Garantir la liberté d’expression, incarnée par l’article 19 de la Constitution du 20 Janvier 2002 ;
  • Cesser tous les actes de psychose dont les agents de police venus spécialement de Brazzaville pour l’opération Mbata ya bakolo posent dans la ville de Pointe Noire ;
  • Arrêter toutes les violences exercées sur des ressortissants des pays étrangers même lorsqu’il est établi qu’ils sont dans une situation irrégulière ;
  • Veiller à ce que l’ordre et la paix sociale règnent toujours dans la ville de Pointe Noire ;
  • Humaniser les opérations de déguerpissement et de nettoyage de l’espace public ;
  • Prévenir les actes attentatoires à la dignité humaine en apportant aux victimes des alternatives crédibles et durables ;
  • Respecter les droits et libertés fondamentaux proclamés au titre II de la Constitution du 20  janvier 2002 et par les instruments Juridiques de protection des droits humains signés et ratifiés par le Congo et dont les principes fondamentaux font partie intégrantes du préambule de la Constitution suscitée ;
  • Mettre un terme au climat délétère qui prend corps dans la capitale économique suite à ces opérations et partout ailleurs dans le pays.

                                                               Fait à Pointe Noire, le 16 mai 2015

 

  Pour la RPDH                                                            Pour la CDJP

  Christian MOUNZEO                                                Brice MACKOSSO

  Président                                                            Secrétaire Permanent

 

Contacts presse: +242055579081

+242055955246

+242053583577

 

 

 

Note :

  1. Huit jeunes, vendeurs de Cd au marché de Mont-Kamba, ont été détenus du 14 au 27 avril 2015 au commissariat central de police pour certains et au commissariat spécial du Port Autonome de Pointe-Noire pour d’autres, au motif de vente de CD subversifs susceptibles d’inciter à la révolte. Ces Cd contenaient des prises de position de congolais de la diaspora sur la gouvernance actuelle et l’éventuel changement ou non de la Constitution du 20 Janvier 2002. Les jeunes ont été relaxés suite à la pression de la RPDH. Dans la même période, soit le 13 avril 2015, trois jeunes dont un âgé de 28 ans dénommé BATOLA Régis, ont trouvé la mort au commissariat central de police de Pointe-Noire des suites de mauvais traitements. L’enquête pour établir les responsabilités face auxdits actes et l’indemnisation des familles endeuillées telles que requises par la RPDH, se font toujours attendre.

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