En 2013, l’Accord de Partenariat Volontaire (APV) entre le gouvernement de la République du Congo et l’Union européenne visant à résoudre les problèmes de gouvernance forestière et d’exploitation illégale des forêts est entré en vigueur. Dix ans après, Christian Mounzéo de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH) nous aide à comprendre où en est sa mise en œuvre.
« Alors que la société civile n’avait jamais été considérée comme un partenaire à part entière, l’Accord de Partenariat Volontaire a profondément changé la donne en matière de gouvernance forestière. La lutte contre les illégalités, les droits des communautés locales et peuples autochtones (CLPA), la transparence et la participation en constituent la pierre angulaire. Depuis son adoption, la société civile peut se prononcer en amont sur les décisions les plus importantes, et ainsi contribuer en tant que véritable partenaire au développement.
Dans ce contexte d’accessibilité, un nouvel outil vient renforcer la gouvernance : l’observation indépendante (OI) forestière pose un regard détaillé sur une gamme de données précises – peut comparer, par exemple, le cahier de charges d’une entreprise avec la réalité sur le terrain.
Une prise en compte véritable des propositions de la société civile est constatée dans l’adoption d’un Code forestier progressiste qui intègre, dans une norme supérieure, le respect des droits des CLPA – la concertation, le consentement libre, informé et préalable (CLIP), le partage des bénéfices de l’exploitation forestière avec les communautés –, jusqu’alors dispersés dans des décrets susceptibles de changer d’une administration à l’autre. L’OI aussi a trouvé sa place dans le Code forestier révisé.
Les acquis de l’APV ont entraîné l’implication de la société civile dans d’autres initiatives ; ainsi leurs contributions ont pu combler l’ambition climatique dans l’élaboration de la Contribution Déterminée au niveau National révisée (CDN) robuste, ainsi que dans les programmes validés du REDD+.
Mais entre ces engagements et la pratique existe un fossé, et le bilan s’obscurcit au regard des défis restants.
Des lenteurs sont à surmonter quant à la réforme juridique. La révision du Code forestier est un énorme succès, mais il a fallu une dizaine d’années pour envisager les décrets d’application qui rendent effectif le code de transparence. Nous ne pouvons pas nous permettre de telles lenteurs : il y a un coût à chaque jour d’attente – un nouveau problème qui s’annonce, un impact réel sur les communautés.
Dans la pratique, on retrouve une série de problématiques irrésolues, notamment en ce qui concerne le partage de bénéfices. Les fonds de développement locaux qui devrait financer des projets locaux ne sont pas alimentés. Les visites de terrain montrent que les projets sont peu nombreux, les CLPA rencontrent toujours des problèmes d’accès à l’éducation, l’eau des rivières est polluée, les sols et cultures sont contaminés ….
Lorsqu’elles voudraient s’en plaindre, les communautés sont confrontées à des mécanismes de plainte qui ne fonctionnent toujours pas, ce qui entrave toute tentative de faire valoir leurs droits, et nous sommes appelés à les accompagner dans le cadre du Centre d’Assistance juridique et d’action citoyenne (CAJAC) de RPDH.
Ces déficiences entraînent un manque à gagner pour les caisses de l’État aussi : le gouvernement n’insiste ni sur l’alimentation des fonds de développement, ni même sur le recouvrement qui lui est dû. Alors se posent les questions, très préoccupantes, de corruption et d’impunité : il y a très peu d’appétit de poursuivre les entreprises défaillantes ; il n’est pas rare de les entendre dire qu’elles n’ont de comptes à rendre qu’au chef d’état, et qu’elles n’ont pas à se plier aux lois applicables.
Comment l’UE peut-elle épauler la gouvernance ?
- La constance et la cohérence : Les nouvelles initiatives de l’UE n’ont pas à être le signe d’une dispersion politique. Le Règlement sur la déforestation (RDUE)et le récent partenariat forestier signé entre l’UE et la République du Congo sont autant d’opportunités pour capitaliser sur les acquis de l’APV et revaloriser les bénéfices issus des 10 dernières années.
Les portes qui ont été ouvertes pour la société civile congolaise ne doivent pas se refermer maintenant. L’UE et la République du Congo viennent de signer un plan quinquennal (2023-27) pour l’APV et la société civile en ignore toujours le contenu.Le Comité Conjoint (CCM) pour la mise en œuvre de l’APV qui se tiendra à Brazzaville (23 et 27 Novembre 2023) est l’occasion de faire un véritable bilan du plan précédent plan et de créer des synergies entre l’APV et les nouvelles initiatives forestières et climatiques. Nous voudrions insister sur la nécessité stratégique de renforcer ces synergies dans la perspective de garantir l’atteinte de leurs objectifs et prévenir une duplication des actions. - Renforcer l’engagement sur le plan pratique, à commencer avecl’appui de capacités, et financier, de l’observation indépendante. Celle-ci est indispensable, elle fournit les données formelles reconnues par le gouvernement qui se recoupent avec les constats du terrain. Ces données constituent la base des actions de plaidoyer de la société civile, la redevabilité et la répression reposent sur elles.Mais il se trouve que les rapports de l’OI se ressemblent d’année en année. Entre le moment de la première recommandation et les courantes, rien n’a été fait, ou du moins pas grand-chose. Les mécanismes de plainte ne fonctionnent pas, L’UE finançait l’OI, mais ne semble pas disposée à continuer, alors que l’activité est cruciale.
- Se confronter à l’impunité et la corruption : Malgré notre ambition,nous n’arriverons pas à améliorer la gouvernance forestière si la corruption et l’impunité demeurent endémiques, voire systémiques.
Actuellement, plus l’exploitation et la production forestières semblent augmenter, moins il y a de revenus. L’ITIE atteste qu’aujourd’hui la forêt ne contribuerait que moins de 5 pour cent aux revenus nationaux. Comment cela s’explique ? La société civile sait où il faut appuyer – mais c’est démoralisant de revenir avec les mêmes réflexions alors que, chaque fois, il y a moins de pression sur la destination des fonds.
Il y a un vrai besoin que le gouvernement se mobilise avec les partenaires UE, mais la question se pose de l’appétit du côté européen pour poursuivre la transparence, et utiliser les leviers dont elle dispose pour encourager le gouvernement à s’attaquer à l’impunité et la corruption.
Les acquis de l’APV sont bien là, ont abouti à de très belles avancées. Dorénavant il faudra insister sur la mise en œuvre pratique pour ne pas laisser s’instaurer une démoralisation, une perte de vitesse. »