Le gouvernement a réalisé des progrès en matière de reconnaissance du droit international à travers l’adhésion à divers conventions et traités en matière de promotion des droits humains et de la gouvernance. L’intégration dans certaines législations nationales des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme, cas du préambule de la Constitution du 06 novembre 2015, marque dans une certaine mesure, l’ambition de domestiquer lesdites conventions internationales et régionales. Cependant, des efforts importants sont encore attendus en matière d’appropriation des engagements internationaux dans les droits humains et la gouvernance responsable et redevable.
Dans ce contexte, le Congo a adhéré à deux instruments sectoriels pertinents au plan africain : La Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption, et la Charte Africaine de la Démocratie, les Elections et la Gouvernance. Pour traduire dans les faits l’appropriation et la mise en œuvre effective de ces engagements, l’intégration de ces outils dans l’ordonnancement juridique congolais s’impose en termes d’obligation.
A cet effet, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) a initié une campagne de plaidoyer pour la vulgarisation desdits instruments africains, dans le cadre de son suivi des politiques publiques. En perspective, l’organisation entend, grâce à cette action, améliorer la gouvernance publique d’une part en suscitant une intégration dans le droit positif congolais des dispositions relatives aux instruments précités et d’autre part, assurer une sensibilisation de l’opinion sur leurs dispositions pertinentes.
1. La Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption.
Elle a été adoptée par les Chefs d’Etat au Sommet de l’Union Africaine à Maputo au Mozambique, le 11 juillet 2003. Elle est entrée en vigueur le 5 août 2006. Unique instrument de lutte contre la corruption comportant des dispositions impératives au sujet de la corruption de personnes à personnes et la transparence dans le financement des partis politiques, cette convention comprend des exigences impératives de déclaration des avoirs par les agents publics désignés et de restriction de l’immunité de ces derniers en cas de corruption avérée. Elle contient des dispositions obligatoires et facultatives exigeant la criminalisation de plusieurs infractions, ainsi qu’un premier cadre véritablement mondial de recouvrement des avoirs. En tant que principal instrument de lutte contre la corruption en Afrique, la convention est dotée de dispositions essentielles sur la coopération technique, l’échange d’informations et de mécanismes d’application. L’article 12 de cette convention est particulièrement pertinent car à travers ses alinéas 1, 2, 3 et 4, les Etats parties s’engagent à : « S’impliquer totalement dans la lutte contre la corruption et les infractions assimilées ainsi que dans la vulgarisation de cette Convention avec la pleine participation des médias et de la société civile en général ; Créer un environnement favorable qui permet à la société civile et aux médias d’amener les gouvernements à faire preuve du maximum de transparence et de responsabilité dans la gestion des affaires publiques ; Assurer la participation de la société civile au processus de suivi et consulter la société civile dans la mise en œuvre de la présente Convention; Veiller à ce que les médias aient accès à l’information dans les cas de corruption et d’infractions assimilées sous réserve que la diffusion de cette information n’affecte pas négativement l’enquête ni le droit à un procès équitable ».
Cet instrument confère aux Organisations de la Société Civile, aux médias et aux citoyens une place centrale dans la lutte contre la corruption. Ce qui met un terme aux considérations selon lesquelles la lutte relève du seul apanage des pouvoirs publics. Cela induit la création d’un cadre perméable aux actions de la société civile, des médias et autres, sans oublier l’adoption de mesures spécifiques pour garantir la sécurité des lanceurs d’alerte et des dénonciateurs.
Dans le cas du Congo, le Président de la République a signé le décret n° 2005-376 du 14 septembre 2005,portant ratification de la convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. Ce décret ne fait état d’aucune réserve dans l’adoption de ce texte, ce qui dénote de l’adhésion du Congo au contenu de la Convention dans son intégralité. La publication de ce décret au Journal Officiel lui a par ailleurs conféré un caractère exécutoire immédiat sur toute l’étendue du territoire national.
2. La Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance :
Cette charte a été adoptée le 30 janvier 2007 à Addis-Abeba en Éthiopie, au Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine. Le mouvement relatif au soutien du cadre politique africain grâce à une convention internationale propre au continent, s’est manifesté dès le début des années 90 et a conduit à la montée du droit international dans les dispositions constitutionnelles des Etats africains. Jusque-là, on s’était contenté d’inclure des « clauses de garantie de la démocratie »dans les traités. L’adoption de la charte a ouvert une perspective nouvelle. Le Conseil pour la paix et la sécurité de l’Union africaine en est le garant.
À ce jour, sur les cinquante-trois États africains concernés, vingt-cinq l’ont signé et deux l’ont ratifié – l’Éthiopie et la Mauritanie – sans réserve ni observations.
La phase de ratification qui s’est ouverte et les ateliers régionaux de « popularisation » de la charte qui ont été organisés confirment pour le moins un constat : les États africains semblent, malgré tout, réticents à l’adopter.Il n’empêche, cette charte a été signée par vingt-cinq États membres et, par les débats qu’elle a suscités comme par sa notoriété, elle constitue une référence dans la pensée politique commune en Afrique.
Deux objectifs fondamentaux du document sont pertinents dans le contexte de la société civile : Promouvoir la prévention et la lutte contre la corruption conformément aux stipulations de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée à Maputo, Mozambique,en juillet 2003 et Promouvoir la création des conditions nécessaires pour faciliter la participation des citoyens, la transparence, l’accès à l’information, la liberté de presse et l’obligation de rendre compte de la gestion des affaires publiques.
Ces dispositions énoncent clairement l’impact de la lutte contre la corruption dans l’amélioration de la gouvernance et le besoin de promouvoir l’émergence de politiques publiques inclusives grâce à la transparence et à la démocratie participative. Le respect des droits humains également constitue un des fondamentaux de la démocratie et de l’Etat de droit. Ce texte est d’autant plus pertinent que les élections constituent un moment de tension particulière en Afrique.
Pour sa part, le Congo a signé la Charte le 18 juin 2007 mais comme beaucoup d’Etats africains, n’a pas procédé à sa ratification depuis. Bien qu’elle ait dans une certaine mesure inspirée les mutations opérées au cadre légal électoral congolais, la charte elle-même a été peu promue dans le pays dans un contexte où la maitrise du cycle électoral pose souvent des problèmes tant le consensus n’est pas garanti dans le processus d’organisation des élections, la légitimité des résultats et la gestion du contentieux électoral.
La Charte africaine de la démocratie, des élections et la gouvernance définit insuffisamment le terme gouvernance. Il s’agit notamment de renforcer les « capacités des parlements et des partis politiques légalement reconnus pour leur permettre d’assumer leurs fonctions principales », d’entreprendre « des réformes régulières des systèmes juridique et judiciaire »et d’améliorer « l’efficience et l’efficacité de l’administration publique et lutter contre la corruption ». La charte insiste sur l’usage du pouvoir de l’Exécutif dans la promotion des secteurs clés comme le développement « des technologies de l’information et de la communication », la liberté d’expression, et en particulier la liberté de la presse et le professionnalisme dans les médias.
La capacité d’un gouvernement est essentielle pour le droit international. L’article 29, dans un souci particulier de sociologie africaine, consacre des lignes remarquables à l’action des Etats pour les femmes. Il est demandé que soient prises des « mesures susceptibles d’encourager la pleine participation des femmes dans le processus électoral et l’équilibre entre homme et femme… ». L’engagement des pays africains pour le règlement pacifique des différends est souligné à l’article 38 : « Les États parties assurent la promotion de la solidarité entre les États membres et soutiennent les initiatives de prévention et de règlement des conflits que l’Union peut entreprendre conformément au Protocole portant création du Conseil de paix et de sécurité ».
3. Principaux constats :
- Ledécret n°2005-376 du 14 septembre 2005,portant ratification de la convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption est peu connu du public congolais. On note ainsi que cet important instrument n’a pas depuis sa signature, été vulgarisé au sein de l’opinion, en particulier des parties prenantes impliquées dans les processus de gouvernance, notamment les agents de l’administration publique, les partis politiques, la société civile, les médias, les citoyens.
- On relève également que des dispositions pertinentes de la convention, à l’instar de la transparence dans le financement des partis politiques, de la déclaration des avoirs par les agents publics désignés, la question de la restriction de l’immunité ou encore du cadre mondial de recouvrement des avoirs,n’ont pas véritablement inspiré l’élaboration du dispositif légal et institutionnel de lutte contre la corruption au Congo, à savoir la loi anticorruption de 2009 et les textes portant création des organes de lutte récemment dissous qu’étaient la Commission Nationale de Lutte contre la Corruption, la Concussion et la Fraude et l’Observatoire Anti-corruption.
- Les dispositions impératives de la convention n’ont pas connu, plus d’une décennie après sa ratification, un début d’exécution. Se faisant, Il convient d’amender la loi anticorruption de 2009 pour y inclure les dispositions pertinentes de la convention afin que ces dernières inspirent réellement le contenu du futur organe de lutte contre la corruption qui verra le jour au Congo.
- D’autre part, en dépit de larges références de la convention aux citoyens et autres forces sociales, ceux-ci ne sont impliqués tel que recommandé dans les politiques de lutte contre la corruption. Ce qui renforce le fléau car de sa dimension de « phénomène social », celui-ci ne saurait être enrayé si un travail de fond ne venait à être opéré au niveau des mentalités pour sortir les populations de leur résignation face à la corruption et surtout pour décourager les actes qui favorisent le phénomène à petite échelle.
- La Charte africaine de la démocratie, des élections et la gouvernancea été signée, mais pas ratifiée. Elle n’a pas non plus fait l’objet de vulgarisation au sein de l’opinion congolaise, ce qui est surprenant dans un contexte où les élections débouchent en général sur des contestations dégénérant dans bien des cas en conflits. Ces conflits trouvent le plus souvent leurs origines dans les frustrations nées des violations des droits de l’homme, issues de la réduction des libertés en période électorale, l’impunité du fait d’un système judiciaire peu efficient et en outre, l’organisation unilatérale, voire frauduleuse des processus électoraux dans leurs différentes phases. La RPDH plaide ainsi pour la ratification immédiate de la Charte et de sa vulgarisation au sein de l’opinion publique congolaise de façon qu’elle contribue à renforcer l’Etat de droit et la démocratie, un système judiciaire efficace et surtout, et qu’elle inspire le cadre légal et institutionnel des élections au Congo.
4. Conclusions et recommandations :
Les deux instruments africains de gouvernance mentionnés dans la présente note constituent une véritable opportunité pour la République du Congo, si seulement ils pouvaient intégrer dans l’immédiat l’ordonnancement juridique interne du pays. Le fait qu’un décret portant ratification de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption ait été pris, constitue une avancée certes mais elle aurait été beaucoup plus significative si ce texte avait pleinement inspiré le dispositif congolais de lutte contre la corruption. Pour mobiliser l’opinion publique, une large sensibilisation du public aurait dû s’en suivre. Cette mobilisation ne saurait se faire sans gages de sécurité, protection et justice aussi bien des lanceurs d’alerte, des dénonciateurs que des victimes de la corruption.
La Charte africaine de la démocratie, des élections et la gouvernance quoique signée depuis plus d’une décennie, n’a pas fait l’objet d’une grande publicité au Congo, ce qui est paradoxal au regard des thématiques abordées par ce texte et leur corrélation avec les réalités du Congo, c’est-à-dire un pays en proie à des problèmes de gouvernance. Le pays gagnerait à ratifier sans délais ce texte et adopter une législation en la matière de sorte que les sujets couverts intègrent les priorités publiques et renforcent la démocratie et l’Etat de droit grâce à la transparence et le respect des droits humains. L’implication des médias, de la société civile et des citoyens parait dans ces conditions cruciales pour matérialiser la domestication de ces deux instruments.
La RPDH entend contribuer à la mobilisation de la société civile, des médias et des citoyens, autour de cet objectif, ce qui justifie le lancement d’une campagne pour vulgariser ces instruments au moyen de l’information et de la formation du public et susciter leur intégration effective dans le dispositif de lutte contre la corruption et de gouvernance démocratique au Congo.
En conséquence, la RPDH formule les recommandations suivantes au gouvernement :
Concernant la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption :
- Procéder à la vulgarisation immédiate de ce texte et du décret de ratification y afférent auprès du public ;
- Intégrer sans délais dans le cadre légal et institutionnel de lutte contre la corruption au Congo, les dispositions pertinentes de la Convention notamment sur la transparence liée au financement des partis politiques, la déclaration des avoirs par les agents publics désignés, la question de la restriction de l’immunité ou encore du cadre mondial de recouvrement des avoirs ;
- Garantir tel que prévu par le texte un environnement favorable permettant à la société civile et aux médias de susciter de la part du gouvernement le maximum de transparence et de responsabilité dans la gestion des affaires publiques ;
- Assurer la participation de la société civile au processus de suivi et consulter cette dernière dans la mise en œuvre de la présente Convention ;
- Garantir la redevabilité des acteurs publics vis-à-vis des citoyens.
- Finaliser en urgence le processus d’intégration de la Directive de la CEMAC relative à la transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques en adoptant sans délai les textes d’application du Code de transparence et de responsabilité dans la gestion des finances publiques.
Concernant la Charte africaine de la démocratie, des élections et la gouvernance :
- Ratifier sans délai la charte et la vulgariser au sein du public ;
- Se conformer aux dispositions de la charte sur la prévention et la lutte contre la corruption, la participation des citoyens, la transparence, l’accès à l’information, la liberté de presse et l’obligation de rendre compte de la gestion des affaires publiques ;
- Intégrer les dispositions pertinentes de la charte notamment sur la démocratie et les élections, dans le dispositif légal et institutionnel qui régit les élections au Congo ;
- Garantir la fiabilité du système judiciaire en République du Congo, en particulier dans le contexte électoral ;
- Garantir des élections crédibles et transparentes, source de stabilité sur le territoire ;
- Se conformer aux dispositions des instruments juridiques internationaux auxquels le pays est partie en matière de respect des droits de l’homme.
La Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH)