La pratique de la torture constitue une violation grave des droits de l’homme. Comme tel, elle est réprimée tant par le droit international des droits de l’homme, que par le droit interne. C’est ainsi que l’éradication complète des actes de torture constitue l’un des défis majeurs de la communauté internationale. La Conférence mondiale des Nations Unies tenue du 14 au 25 juin 1993, l’a réaffirmé dans la Déclaration et le plan d’action de Vienne, en demandant aux Etats de « mettre immédiatement fin à la pratique de la torture et d’éliminer à jamais ce fléau ». L’interdiction de la torture est alors devenue une norme impérative à laquelle aucun Etat ne peut déroger. Cette interdiction impose aux Etats des obligations erga omnes, c’est-à-dire des obligations vis-à-vis des autres membres de la communauté internationale dont chacun a un droit corrélatif. En la matière, l’instrument spécifique traitant des questions de torture, est la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée le 10 décembre de 1984 et entrée en vigueur le 22 juin 1987.
Persistance de la torture en République du Congo!
La République du Congo a adhéré à cette Convention le 29 juin 2003. Au terme de son article premier, elle définit la torture comme : « Tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis… ». La référence faite dans le préambule de la Convention à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (article 5) et au Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (article 7) rappelle le caractère absolu de la prohibition de l’usage de la torture en quelque territoire que ce soit. Cette prohibition s’impose en tout lieu et en tout temps, à tous les Etats, en temps de paix comme en temps de conflits armés. Aucune circonstance exceptionnelle, état de guerre, menace de guerre, instabilité politique intérieure, etc. ne peut être invoquée pour justifier la pratique de la torture.
En ratifiant cette Convention, le Congo a pris l’engagement de lutter contre la torture et autres violations des droits humains. Cependant, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) constate qu’en dépit de cet engagement ferme, la pratique de la torture demeure constante au Congo. Pourtant, l’article 9 (4) de la Constitution congolaise du 20 janvier 2002 condamne la pratique de la torture en ces termes : «Tout acte de torture, tout traitement cruel, inhumain ou dégradant est interdit ».
En outre, la Convention contre la torture impose à tout Etat partie de prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres, pour empêcher que des actes de torture ne soient commis dans tout territoire sous sa juridiction. Elle exige également aux Etats de veiller à ce que tout acte de torture constitue une infraction au regard de leur droit pénal. Mais le Congo ne prévoit guère à ce stade dans sa législation pénale, d’incrimination spécifique contre la torture. Celle-ci est analysée comme circonstance aggravante de l’infraction de coups et blessures.
Cela dit cette pratique est monnaie courante au sein notamment des établissements carcéraux congolais par les agents de la force publique, en particulier dans les commissariats de police : La torture est une pratique systématique. Elle est utilisée comme moyen pour obtenir des aveux ou punir des détenus. Ce faisant, sous l’effet des mauvais traitements et autres sévices corporels et psychologiques, les détenus finissent par reconnaître les crimes qui leur sont reprochés.
A titre illustratif, au mois d’avril 2015, EWANGA NDE Rabane, âgé de 40 ans et gérant d’un mini-hôtel, a été arrêté sur dénonciation calomnieuse de complicité de vol des biens dudit hôtel, et détenu en première instance dans les locaux de la Gendarmerie puis une semaine durant au Commissariat central de Police de Pointe-Noire, où des tortures et sévices corporels lui ont été infligés afin de lui extorquer des aveux sur son éventuelle implication dans le vol susmentionné.
De même, huit (08) jeunes vendeurs de CD, ont été incarcérés du 14 au 27 avril 2015, entre les Commissariats central de police et spécial du Port Autonome de Pointe-Noire, pour avoir vendu des CD taxés de subversifs par les autorités policières du département. Toujours à Pointe-Noire, NGOUBILI LUC, jeune commerçant au Marché central, a été détenu plusieurs jours durant le mois de mai 2015, au Commissariat d’Arrondissement I, Emery Patrice LUMUMBA, au motif de vente de CD portant sur le meeting de l’opposition tenu à Pointe-Noire, le 03 mai 2015. Le détenu était sous-alimenté et a fait l’objet de battues régulières de la part de ses codétenus, sous le regard indifférent des policiers.
Cette torture revêt également un aspect psychologique, du fait des exactions policières et des conditions de détention criardes. Dans bien des cas, elle conduit au traumatisme des concernés. On peut évoquer les cas de MILANDOU Clève et KONDE Tony, deux jeunes qui pour l’un, a vu son matériel de travail saisi par la police et pour l’autre, a dû s’enfuir vers la ville de Brazzaville afin d’échapper aux représailles des policiers, vis-à-vis des vendeurs de CD à Pointe-Noire.
De même, les personnes interpellées dans le cadre de l’opération de police dénommée Mbata ya bakolo, visant le contrôle des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et lancée tambours battants le jeudi 14 mai 2015 à Pointe-Noire, ont été retenues dans des locaux insalubres, ne comportant ni sanitaires ni couches viables.
Par ailleurs, des morts en détention ont été signalés des suites de mauvais traitements à Pointe-Noire notamment, en ce début d’année 2015. Il s’agit notamment de BATOLA Régis (28 ans) et de deux autres détenus, décédés le 13 avril 2015 au Commissariat central de Police de Pointe-Noire. BATOLA Régis avait été interpellé à une veillée mortuaire en date du 6 avril 2015, avant d’être détenu plusieurs jours durant dans une cellule exigüe en compagnie d’autres détenus, sans accès à une alimentation adéquate.
Ces actes non exhaustifs témoignent à n’en point douter de la récurrence de la torture sur le territoire congolais. La RPDH note toutefois que plusieurs raisons expliquent la persistance de la torture et d’autres violations graves des droits de l’homme au Congo. Il s’agit tout d’abord de l’impunité, véritable obstacle à la lutte contre la torture. Nombreux facteurs favorisent cette impunité, notamment la peur des victimes, le manque de soutien, l’absence de sanctions exemplaires au sein de la corporation. Pour preuve, depuis plusieurs années, l’organisation recense et dénonce des cas de torture flagrants conduisant parfois à des décès, malgré tout, les auteurs ne sont guère identifiés ni sanctionnés, ni inquiétés et les enquêtes sont classées sans suite.
En outre, l’absence d’une entité indépendante, à même d’enquêter sur les allégations d’atteinte aux droits de l’homme commises par la police ou la gendarmerie, aggrave la situation. A cet effet, les quelques plaintes déposées par les victimes de torture sont instruites par les mêmes policiers ou gendarmes, potentiels auteurs d’actes de torture. Ils deviennent en cela juge et partie. Nombreuses sont alors les plaintes qui n’entraînent ni poursuites, ni condamnations ; les bavures des policiers ou gendarmes étant couvertes par leurs chefs hiérarchiques. A cela s’ajoute l’ignorance des principes garantissant le respect des droits de l’Homme par les agents de la force publique. L’ article 10 de la Convention contre la torture dispose que : « Tout Etat partie veille à ce que l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel civil ou militaire chargé de l’application des lois, du personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit ». La mise en œuvre de cette obligation conventionnelle demeure déficitaire en République du Congo.
Finalement, la réparation est un élément essentiel pour les victimes de torture et constitue un droit spécifiquement reconnu dans les instruments internationaux des droits humains. La Déclaration des Nations Unies des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir stipule que : « Les victimes doivent recevoir l’assistance matérielle, médicale, psychologique et sociale dont elles ont besoin ». Le Rapporteur spécial sur le droit des victimes à la réparation a relevé que la réparation devrait inclure les soins et autres services médicaux et psychologiques, ainsi que des services juridiques et sociaux. Au Congo, le problème de l’indemnisation satisfaisante se pose car l’Etat ne prévoit ni de fonds d’indemnisation des victimes ni de structures de réhabilitation de ces dernières. Par dessus tout, aucun programme gouvernemental n’existe pas, en termes de réadaptation physique et psychologique des victimes.
Fort de ce qui précède et en vue de mettre un terme aux entraves à une lutte efficace contre la pratique de la torture sur le territoire congolais, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme recommande au Gouvernement de la République de :
– Se conformer aux dispositions de la Constitution du 20 janvier 2002 et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dûment ratifiée par le Congo ;
– Garantir l’intégrité physique et psychologique de toutes les personnes victimes de torture, et prévenir cette pratique avilissante au moyen de la sensibilisation au sein de la force publique ;
– Promouvoir l’enseignement, l’information et la formation des agents de la force publique aux questions des droits de l’homme, en particulier celles relatives à l’interdiction de la torture ;
– Lutter véritablement contre l’impunité en garantissant l’indépendance de la justice à travers des enquêtes libres et dans les cas avérés, traduire les responsables des tortures et autres violations graves des droits humains devant les juridictions ;
– Procéder à une indemnisation adéquate de toutes les victimes d’actes de torture et établir des programmes de réparation et de réadaptation des victimes ;
– Reformer la législation pénale afin de l’adapter aux normes internationales en matière de lutte contre la pratique de la torture.
Fait à Pointe-Noire, le 26 juin 2015
Pour la Rencontre pour la Paix et Les Droits de l’Homme (RPDH)
Christian Mounzeo
Président
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