De l’urgence d’Humaniser les lieux de détention pour rendre la dignité aux personnes détenues!
I. Contexte et justification
Il est admis à l’échelle internationale que la promotion et la protection des droits de l’homme en général et des droits des détenus en particulier, incombe avant tout aux Etats. La République du Congo s’attache à cette conception et définit dans ses textes fondamentaux les moyens d’assurer la protection de l’individu. Ainsi, à travers la Constitution du 20 janvier 2002, le Congo proclame son attachement aux droits de l’homme, et garantit les droits et libertés fondamentaux des individus. Les droits de l’homme sont cruciaux en matière de détention ; en effet, la privation de la liberté est l’une des pires sanctions que l’on peut infliger à un être humain, car de par sa nature, l’homme est un être libre ; cependant cette liberté doit être réglementée par la loi.
En dépit du fait que le Congo ait promulgué des textes qui protègent les droits des personnes privées de liberté, que la Constitution du 20 janvier 2002 consacre une attention aux droits et libertés fondamentaux des individus, la situation des détenus reste préoccupante. En effet, dans les différentes prisons et centres de détention du Congo, les mauvais traitements et la torture sont monnaie courante pour extorquer des aveux. La Direction générale des droits humains, organe du ministère de la Justice chargé du suivi des droits humains dans les prisons, a reconnu que des détenus sont souvent maltraités, mais en a attribué la cause au manque de formation appropriée du personnel carcéral. Cet état de fait s’explique également par le mépris des autorités à l’égard des droits de l’homme.
Par ailleurs, de nombreux rapports et témoignages n’ont cessé de dénoncer les conditions de détention précaires qui prévalent dans les prisons du Congo. Elles se traduisent par la surpopulation, l’insuffisance ou l’absence du personnel médical, d’équipements sanitaires et de soins, une alimentation insuffisante et de mauvaise qualité.
Les prisons congolaises se révèlent et sont réputées être des lieux de non-droits. Il est par conséquent, important que les règles nationales, régionales et internationales ainsi que les directives garantissant les droits des détenus soient promues et soient entièrement protégées.
Partant de ce principe, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) a réalisé cette étude en vue de se prononcer sur la cruciale problématique de protection des droits des détenus en République du Congo. Une mission de la RPDH a pu visiter les lieux de détention du Congo, notamment à Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie, Madingou, Owando, Ewo, Nkayi, Impfondo et Ouesso, lors du dernier trimestre 2014, avec l’appui du National Endowment for Democracy (NED).
II. Les instruments juridiques relatifs aux droits des détenus.
Le constituant congolais a accordé une place de choix à la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ceci se justifie du fait que les dits droits et libertés sont portés dans les premiers titres de la loi fondamentale. Ainsi, l’article 9 du titre II dispose : « La liberté de la personne humaine est inviolable. Nul ne peut être arbitrairement accusé, arrêté ou détenu. Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’une procédure lui garantissant les droits de la défense… ». De même, l’article 7 dispose : « La personne humaine est sacrée et a droit à la vie. L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger». Ces dispositions de la Constitution confèrent à l’Etat des obligations de respecter et de protéger la personne humaine quelle que soit par ailleurs, sa situation. Au-delà de ce texte constitutionnel, la législation pénale édicte également des normes qui déterminent les principes fondamentaux relatifs à la protection des droits des détenus. A ces normes s’ajoutent l’ensemble des décrets, arrêtés et textes réglementaires qui régissent le fonctionnement des établissements pénitentiaires[1].
Par ailleurs, d’autres mentions relatives aux droits des détenus figurent dans le droit international et sont très générales. Elles obligent à avoir recours à des instruments juridiques internationaux pour définir et interpréter les droits des détenus ; il s’agit de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, et du Pacte international relatif au droits civils et politiques de 1966 ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de la même année. Les mentions relatives aux droits des détenus figurent aussi dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981. D’autre part, il y a aussi des instruments internationaux plus spécifiques de protection des droits des détenus. C’est le cas de l’ensemble des principes pour la protection de toutes personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement de 1990, de l’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus de 1955 et de 1977, de l’ensemble des règles minima pour l’élaboration des mesures non privatives de libertés de 1990 et de la Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984.
En outre, divers autres normes existent, telles que les normes internationales spécifiques aux mineurs et aux femmes, c’est-à-dire la Convention relative aux droits de l’enfant, l’ensemble des règles des Nations-Unies concernant l’administration de la justice pour les mineurs dites règles de Beijing, les principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile dits principes de Riyad. Il y a enfin, les normes spécifiques régissant les établissements pénitentiaires.
Ces divers instruments déterminent l’étendue de la protection des détenus par la loi. Ce qui s’avère particulièrement important dans le cas d’une personne privée de sa liberté. Cette protection est aussi bien valable pour les personnes mises en examen que les personnes incarcérées. Les personnes mises en examen constituent la catégorie des détenus qui n’ont pas encore été jugés. Il peut s’agir des gardés à vue ou des détenus provisoires. Toutefois, ils bénéficient des mêmes droits que les détenus définitivement incarcérés voire même d’une plus grande protection en raison de la présomption d’innocence dont ils jouissent.
Cette protection est aussi valable pour les détenus vulnérables qui auraient besoin d’une prise en charge particulière. En tant que tels, ce sont les mineurs, les femmes et les déficients mentaux. Enfin, cette protection est aussi étendue aux détenus politiques qui doivent bénéficier d’un régime spécial.
Certes sur le plan législatif, la République du Congo a fait des avancées significatives dans l’élaboration de normes garantissant les droits fondamentaux des détenus et dans l’intégration des règles fondamentales des droits de l’homme dans la législation nationale. Cependant, force est de constater que des lacunes sont notées dans l’application des mesures édictées.
En effet, certaines dispositions de la législation congolaise doivent être revues, pour être en conformité avec les instruments internationaux. Il en est ainsi du problème majeur de la détention provisoire en matière criminelle qui n’est pas reconnue dans le Code de procédure pénale. Le silence des textes sur une question aussi sensible que le délai de la détention provisoire en matière criminelle constitue une violation des droits des détenus. La législation nationale a ignoré la détention provisoire en matière criminelle dans ses développements. Pourtant la gravité des délits et des crimes, n’étant pas la même, il est souhaitable de prévoir une durée de détention viable eu égard à la gravité des infractions délictuelles et criminelles comme le prévoit d’autres législations[2].
Il faut noter que l’absence de garantie temporaire aux détenus provisoires en matière criminelle peut être source d’abus quand l’on pense à la situation des présumés innocents que l’on met directement en prison avant jugement avec des condamnés. Aussi, du point de vue de la politique criminelle, il ya urgence à fixer un délai raisonnable quand l’on pense à l’effet délétère de la promiscuité dans les prisons qu’on considère aujourd’hui comme des lieux criminogènes. Le justiciable ne saurait donc être coupable des fautes de l’administration ni des silences des textes. S’il est vrai que la justice doit rechercher sereinement la vérité, il n’en demeure pas moins que la détention des inculpés en matière criminelle, pendant une période déraisonnable sous prétexte des silences de la loi, n’est ni plus ou moins qu’une atteinte au principe tutélaire de la présomption d’innocence et de la liberté individuelle.
Par ailleurs, la non intégration des sanctions contre la torture dans le Code de procédure pénale participe directement à la violation des droits du détenu et consécutivement à la culture de l’impunité. En effet, le Congo a ratifié la Convention contre la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[3], mais s’est gardé d’intégrer la torture comme délit ou crime dans le Code pénal[4].
En outre, la garde à vue reste largement abusive, tant au niveau des délais qui ne sont pas toujours respectés qu’au niveau des motifs parfois vagues et arbitraires d’arrestation. Elle est souvent utilisée par certaines autorités administratives comme une sanction ou une mesure d’intimidation. Elle se prolonge au-delà des délais légaux, 48 heures, les gardés à vue étant dans la plupart des cas sans avocat.
III. Les conditions de détention dans les milieux carcéraux congolais.
Les conditions de détention dans les prisons et centres de détention du Congo sont extrêmement précaires. Que ce soit dans les maisons d’arrêt ou dans les commissariats de police et postes de gendarmerie, les milieux carcéraux sont en pratique des lieux dégradants et d’avilissement de l’être humain au lieu d’être des lieux de réhabilitation.
En effet, des graves atteintes à la dignité humaine y sont commises. A Brazzaville comme à Pointe-Noire, les autorités détiennent généralement les femmes et les hommes dans des locaux distincts. Les mineurs sont placés avec les adultes dans les mêmes cellules. En outre, les prisons d’Owando, Ewo, Ouesso, Brazzaville, Nkayi, Madingou, et Pointe-Noire visitées par les enquêteurs de la RPDH, sont caractérisées par des effectifs pléthoriques. « Partout où nous sommes passés, nous avons constaté une disproportionnalité entre les capacités d’accueil des établissements et le nombre des prisonniers, a déclaré l’un des enquêteurs».
Par ailleurs, la torture est monnaie courante, en dépit du fait que le Congo ait ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’article 9 (4) de la Constitution congolaise du 20 janvier 2002 condamne la pratique de la torture en ces termes: «Tout acte de torture, tout traitement cruel, inhumain ou dégradant est interdit ». Beaucoup d’agents de la force publique ignorent le droit de tout être humain de ne pas être soumis à la torture pour prétendre obtenir des aveux des prévenus. C’est ainsi que ces derniers sont maltraités, molestés, torturés et sous l’effet de ces sévices corporels et psychologiques, ils finissent par reconnaître les crimes dont on les accuse. A titre illustratif, au mois de juillet 2014 au commissariat central de Pointe-Noire, on a pu voir un jeune citoyen non autrement identifié que par la dénomination ONDONGO, se faire molesté, menotté et administré des traitements inhumains devant sa mère, impuissante d’empêcher cette barbarie, ne faisant que verser ses larmes.
Dans ce même ordre d’idées, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) a publié en date du 26 juin 2014, une déclaration sur la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture dans laquelle, elle a dénoncé la pratique de la torture dans les milieux carcéraux congolais:
En général, dans les établissements carcéraux du Congo, notamment les maisons d’arrêt, les commissariats de police et les brigades de gendarmerie, ce phénomène est monnaie courante ; ceci en violation des engagements internationaux du Congo. Ces actes sont commis par des responsables militaires, des agents des services de renseignements, des agents de police. Ils sont le plus souvent perpétrés au moment de l’arrestation, de la garde à vue, de la détention ou lors du transfert des victimes vers les commissariats de police, la maison d’arrêt ou d’autres centres de détention.
M. Christian Mounzeo, président de la RPDH renchérissait à ce propos :
La torture pour les agents de la force publique est une pratique normale utilisée pour obtenir des aveux, si ce n’est pour déshumaniser les personnes interpellées. Les victimes subissent en fait déjà une punition avant même le jugement, ceci en contradiction avec le principe de la présomption d’innocence. Avec ces pratiques, la force publique supposée appliquer la loi renvoie aux yeux de l’opinion une image de terreur.
On enregistre également des morts en détention suite aux mauvais traitements. A titre illustratif, à Pointe-Noire, MBOUTOU Gaël est décédé le 18 février 2014, à la suite des coups et blessures volontaires infligés par les agents du Poste de Sécurité Publique (PSP) du quartier Mpaka 120, après une altercation survenue dans le cadre d’une interpellation pour une suspicion de racket.
●La Maison d’arrêt de Brazzaville. Visitée le 09 septembre 2014, nous avons pu travailler avec Madame Sandrine Adoua du service de détention. Cette maison d’arrêt dont la capacité d’accueil est de 150 personnes, comptait un effectif de 529 personnes, dont 483 hommes, 46 femmes, et 23 mineurs. On y compte trois (03) quartiers hommes, quatre (04) quartiers femmes, deux (02) VIP dont le colonel Marcel Ntsourou et M. Motonguenda, cadre d’une institution financière de Brazzaville. Les mesures de sécurité y sont insuffisantes pour isoler les mineurs du reste de la population carcérale. Les conditions de vie des « détenus riches » sont généralement meilleures que celles des personnes démunies, voire indigentes. Les autorités séparent les fonctionnaires de l’Etat des autres détenus. C’est ainsi, par exemple, que les détenus dans l’affaire des explosions du 04 mars 2012 étaient séparés de la population carcérale générale. La plupart des détenus dorment à même le sol sur des cartons ou sur de minces matelas dans des cellules exiguës, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 19 des Règles minima pour le traitement des détenus (RMT) qui stipulent : « chaque détenu doit disposer d’un lit individuel ». Les systèmes de ventilation sont pratiquement inexistants, l’éclairage est mal entretenu.
●La Maison d’arrêt d’Owando, construite pour recevoir vingt cinq (25) prisonniers. A la date du 24 Août 2014, cette prison en contenait cinquante neuf (59) dont deux femmes(02) et trois (03) mineurs. On y compte cinq (05) cellules, dont quatre (04) pour les hommes et une (01) pour les femmes. Les mineurs sont placés avec les hommes. « Nous sommes donc loin de la réalité et des normes de droit. Cette maison comme vous le voyez, a été construite à l’époque coloniale. Mais nous nous efforçons avec le peu de moyens à faire mieux, à respecter les droits des prisonniers et détenus »[5], nous a confié M. Gaston Ibongo, le directeur de cette maison d’arrêt.
Appuyant les propos du directeur, M. Jean Christophe Ngando, commandant de brigade de recherches à la brigade territoriale d’Owando avec qui, nous avons procédé à la visite des locaux de la dite brigade, le 24 Août 2014, a confirmé :
Ici, comme vous le remarquez, les conditions de détention ne sont pas bonnes. On manque pratiquement de tout. Les femmes et les hommes sont séparés comme l’exige les règles de détention .Généralement, les femmes ne sont pas détenues. Elles sont libérées avec l’accord du procureur de la république pour être rappelées lors de nécessité d’enquêtes. Il arrive tantôt que nous excédons par rapport aux délais légaux de garde-a-vue[6]. Enfin, nous avons des visites du Procureur de la République qui passe de temps en temps ici en application de la note n°0350_CPS-MJDH-CAB du 27 Mars 2014[7].
●Au Commissariat central d’Ewo visité le 28 Août 2014, nous avons noté sept (07) gardés-à-vue et un (01) écroué dans une cellule d’une capacité d’accueil de cinq (05) personnes. Il faut souligner que le commissariat et la Brigade territoriale du département, sont pour l’heure, les seuls lieux de détention. Les détenus de la localité sont déférés à la maison d’arrêt d’Owando en attendant la fin des travaux de la maison d’arrêt d’Ewo, amorcés lors de la « municipalisation accélérée » de 2012. Nous avons également noté une précarité des conditions de détention. Selon, le Lieutenant Glen Kissita, Commissaire de la dite brigade: « Les gardés –à-vue que vous voyez, sont là pour raisons d’enquête sur les cas de vol et de recels. Le Procureur de la République est déjà saisi. L’écroué, est là pour un cas d’accident de circulation d’une personne de troisième âge. Nous nous efforçons de respecter les droits de l’homme »[8].
●La Maison d’arrêt de Ouesso, visitée le 02 septembre 2014, l’effectif était de quatre vingt trois (83) détenus sur une capacité d’accueil de cinquante (50) détenus.
Nous sommes en débordement total et sommes obligé de faire avec les moyens de bord en espérant que d’ici là, les choses vont s’améliorer. A l’heure actuelle, je puis vous rassurer que le terrain pour la construction de la nouvelle maison d’arrêt de Ouesso est déjà trouvé. Et, Il ne reste plus que la programmation, que nous osons voir se concrétiser surtout avec la municipalisation accélérée que va accueillir notre département en 2015[9], nous a déclaré M. Philippe Mondzeli, intendant à la maison d’arrêt.
●La Maison d’arrêt de Madingou, construite à l’époque coloniale, elle est surpeuplée et vétuste. Elle était construite pour une capacité d’accueil de deux cent (200) détenus, actuellement le quartier des femmes est hors d’usage. L’effectif carcéral lors de notre visite était de trente cinq (35) détenus dont vingt huit (28) prévenus et sept (07) condamnés parmi lesquels une femme. Au mois d’octobre 2014, neuf (09) détenus ont été déférés à la Maison d’arrêt de Dolisie pour des soins sanitaires de qualité ; la maison d’arrêt de Madingou manque pratiquement de tout au niveau de l’infirmerie.
●Au Commissariat central de Police de Dolisie, visitée le 28 novembre 2014, nous avons noté quelques gardes-à-vue. Abordant l’un d’eux ayant requis l’anonymat par crainte de représailles, a propos de leurs conditions de détention, ce dernier a déclaré: « Nous ne sommes pas traités comme des êtres humains surtout quand leurs chefs hiérarchiques ne sont pas sur place. Nous lançons un appel aux ONG de défense des droits de l’homme de visiter ces lieux de façon inopinée pour s’en convaincre réellement de l’applicabilité des textes internationaux et nationaux qui protègent nos droits ».
●A l’hôtel de police de Dolisie, visitée le 28 novembre 2014, au moment de notre descente, nous n’avons noté aucun détenu. Répondant à nos questions, le capitaine de police Bienvenu Ngoteni du service des enquêtes a déclaré : « Les gardes-à-vue sont déférées selon les normes auprès du Procureur de la république. A notre niveau, nous veillons à ce que les droits des détenus soient respectés. Ce sont des personnes comme nous qui ont aussi besoin de leur dignité. Je vous informe que, nous participons aussi à des séminaires sur les droits de l’homme».
●A la brigade territoriale de gendarmerie de Dolisie, visitée le 28 novembre 2014, les conditions de détention sont précaires et la cellule très peu propre, «les conditions ne sont pas comme nous le souhaitons, mais qu’à cela ne tienne, nous essayons de faire le mieux et surtout de dire le droit. Les durées de garde à vue, sont respectées », nous a confié l’Adjudant Bertrand Ngambolo en service dans la dite brigade.
La maison d’arrêt de Dolisie. D’après les propos du directeur de cet établissement, M. Lambert Georges Moupépé,
Avant la réhabilitation de cette maison, c’était l’empirisme. Il ne faisait pas beau d’y vivre et travailler. Il n’y avait pas de couloirs, pas d’eau et nous étions obligés de demander aux détenus et aux prisonniers de faire cette corvée quotidienne, mettre les bidons de 25 litres dans les brouettes et parcourir une distance de plus de 100 mètres. Et la conséquence, nous avons enregistré plusieurs cas d’évasion. J’étais obligé de trouver une solution, faire un branchement à la SNDE. Je vous informe aussi que, dès que le projet de réhabilitation de cet établissement avait démarré, beaucoup de paramètres n’étaient pas pris en compte, tels que l’installation d’une bâche à eau, d’une guérite pour les policiers, des toilettes externes pour le personnel et visiteurs, la peinture pour certains bâtiments, la salle des arrivants, salle dans laquelle les détenus nouvellement arrivés sont reçus pour être examinés par le corps médical avant leur placement afin d’éviter les contaminations.
S’agissant des conditions de détention, le directeur de la maison d’arrêt a notamment déclaré:
Je m’abstiens de tout commentaire, tout à l’heure, vous allez ensemble avec le surveillant visiter les quartiers et cellules pour vous en rendre compte et surement trouver une réponse. Nous nous efforçons de donner une bonne image à l’opinion nationale et internationale. La Prison n’est pas l’enfer mais un lieu de rééducation et la dignité de nos frères et sœurs doit être respectée, principe clé des droits de l’homme. Nous faisons d’énormes efforts pour ne pas déshumaniser les prisons et les détenus. Cette charge nous revient.
Après cet entretien, le directeur nous a conduit auprès du surveillant général, le brigadier-chef de police Arsène Tombet pour la visite des quartiers, cellules et personnes en détention. Cette visite a commencé par le bloc administratif qui comprend : la direction, le secrétariat de direction, le service d’intendance, le service social et le greffe judiciaire, le bureau du commissaire, le service de la détention, le bureau du surveillant général, une infirmerie avec une salle de réception, une salle de soins et une pharmacie, une salle des arrivants, des salles de réinsertion n°1et n°2, un bâtiment enseignement, orientation et évaluation, culture, arts et sports, un suppresseur et une bâche à eau de relais en cas de rupture d’eau de la SNDE, un magasin de stockage, une cuisine moderne, des toilettes externes pour le personnel et visiteurs.
L’effectif en date du 27 novembre 2014, était de trente et un (31) détenus, dont trois (03) condamnés et l’un deux se trouvait dans la cellule de discipline, la capacité d’accueil est de deux cent (200) détenus. Concernant les conditions sanitaires, elles sont idéales et les cellules sont bien tenues. Nous avons enregistré un seul malade en la personne de M. Anicet Tseke qui était sous perfusion dans sa cellule : « J’ai été transféré à l’hôpital militaire et après consultation, ils ont jugé bon de me soigner sur place et ça va mieux », nous a-t-il déclaré.
La Maison d’arrêt d’Impfondo, construite en 2005, lors de la municipalisation accélérée du département de la Likouala et ouverte en 2011, elle est une maison carcérale modernisée : forage, cuisine, terrain de sport, amphithéâtre et literie complète. Les détenus ont trois repas par jour ; les cultes sont autorisés chaque dimanche. Les détenus sont visités selon les normes (15 minutes). Il existe même des logements pour le personnel du centre. On compte quatre (04) quartiers hommes, un (01) quartier de femmes. L’effectif en date du 30 Août 2014 lors de notre visite, était de quatre vingt neuf (89) détenus, dont trois (03) femmes et quatre (04) mineurs, la capacité d’accueil étant de cent vingt (120) détenus.
●Au commissariat central de police de Nkayi, nous avons noté d’une manière générale la vétusté des bâtiments et les mauvaises conditions des détenus. Cela se caractérise par l’exiguïté des cellules, le manque de toilettes, d’éclairage, et l’insalubrité.
●A la maison d’arrêt de Pointe-Noire, visitée le 15 octobre 2014. Cette visite nous a donné l’occasion d’échanger avec le Directeur de la maison d’arrêt, M. Toits Léonkany sur l’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus. La visite des locaux, nous a permis de s’assurer des conditions des détenus ; en cette date, la maison d’arrêt de Pointe-Noire hébergeait : deux cent cinquante trois (253) détenus et condamnés dont 244 hommes, 03 femmes et 06 mineurs dans dix sept (17) cellules de vingt huit (28) à trente deux (32) personnes dans les cellules les plus vastes, et cinq (5) à sept (7) personnes dans les cellules les plus petites. Alors que la prison de Pointe-Noire, construite en 1934 n’avait qu’une capacité d’accueil de 75 prisonniers. Il s’y produit de fréquentes remontées d’eau dans les cellules.
●Au commissariat central de police et la brigade territoriale de gendarmerie de Pointe-Noire, nous avons également pu noter un effectif pléthorique, des conditions de détention précaires, et la détention provisoire de longue durée en constitue un problème sérieux.
IV Principaux problèmes observés
La surpopulation carcérale, comme on peut le constater, constitue un véritable problème dans les maisons d’arrêts et de correction des villes du Congo; elle contribue souvent à faire de ces prisons des lieux criminogènes. Elle rend la vie carcérale insupportable et favorise des violences de toute espèce non seulement entre détenus mais encore entre détenus et personnel pénitentiaire. En outre, ce surpeuplement ne permet pas un meilleur suivi des détenus par le personnel.
La santé et l’hygiène des détenus, l’hygiène individuelle et collective sur laquelle insistent certains instruments juridiques est quasiment inexistante dans les prisons du Congo. Non seulement, les détenus n’ont pas à leur disposition de l’eau de façon permanente mais encore, il est rare qu’ils soient encouragés au travail dans l’optique de l’entretien de leur cadre de vie. Il est de ce fait fréquent de voir des détenus passer des jours sans se laver, toute chose en effet contribuant à créer et à répandre des odeurs pestilentielles dans les cellules, ainsi que des maladies liées à l’hygiène du milieu.
Il manque, en plus, une organisation qui permette aux détenus de nettoyer plus ou moins régulièrement leurs cellules. Ainsi, les cellules se transforment progressivement en dépotoir. Par manque de contrôle du personnel pénitentiaire, l’hygiène ne constitue en aucun cas une préoccupation majeure. Il appartient généralement à chaque détenu de rendre son petit espace de vie propre. C’est alors que certaines cellules sont moins sordides que d’autres. Dans le cas où les détenus apparaissent négligents, parce que probablement dégoutés de leurs conditions de détention, les cellules sont incontestablement sales, insalubres. En conséquence, l’insalubrité peut expliquer la permanence des maladies. Dans ces lieux de privation des libertés, les détenus sont exposés aux maladies telles que le paludisme, les maladies pulmonaires comme les bronchites, les pneumopathies, la tuberculose…les diarrhées, les dermatoses, les troubles de vision et les conjonctivites. Ces maladies sont fondamentalement liées aux conditions de détention qui sont dans l’ensemble précaires. Dans le cas du paludisme, il faut noter que les prisonniers ne se protègent pas contre les moustiques qui sont les agents vecteurs de cette maladie. Ils ne dorment pas sous des moustiquaires. Il n’est donc pas surprenant, dans ces conditions où aucune mesure de protection n’est prise que les détenus tombent régulièrement malades de paludisme.
Les diarrhées sont dues principalement à une alimentation de mauvaise qualité. Quant aux dermatoses et aux maladies pulmonaires, la raison est à trouver dans des conditions hygiéniques qui laissent singulièrement à désirer. L’écrasante majorité de la population carcérale dort presque à même le sol, c’est à dire sur de simples nattes dans des cellules insalubres. Cette population carcérale est donc régulièrement en contact avec la poussière, la saleté. Il convient de noter également que, si les détenus ont un peu d’eau à leur disposition, ils manquent cependant dans la plupart des cas de savon. Et, il devient difficile pour eux de prendre véritablement soin de leur corps et de tenir en permanence leurs vêtements propres. Ainsi, se comprennent les multiples maladies dermiques comme les gales environnant le milieu carcéral. Pour les troubles de vision et les conjonctivites, il faut rappeler que les prisonniers n’ont pas le bénéfice de promenades journalières dans l’enceinte de la prison. Il en résulte logiquement des problèmes de vue pour la simple raison qu’ils sont constamment enfermés dans des cellules où l’éclairage est défectueux, et la pénombre souvent la règle.
Cependant, il convient de souligner que les prisons du Congo disposent d’un personnel soignant insuffisant. Lorsque ce personnel existe (présence de quelques infirmiers ou médecins), il n’y a souvent pas de médicaments qui permettent d’administrer les premiers soins aux détenus souffrants. Le personnel soignant est souvent inefficace devant les détenus malades.
Pour ce qui est de l’alimentation, l’article 28 de l’arrêté n° 12900/MJDH-CAB portant règlement intérieur des maisons d’arrêt dispose : « Chaque détenu a droit à une alimentation saine et équilibrée ». L’alinéa 2 du même article ajoute : « Toutefois, les détenus présentant un régime alimentaire particulier peuvent recevoir la nourriture provenant de l’extérieur ». De manière générale, dans tous les établissements carcéraux visités, la ration alimentaire est notoirement insuffisante. D’après les entretiens passés, les détenus auraient droit, en moyenne, à un repas seulement par jour, qui consiste en des portions insuffisantes de riz, de pain et de poisson et ou de viande. Les détenus politiques et certains qui sont plus riches, reçoivent la nourriture de leur famille.
Sur le plan administratif, la tenue des registres dans le système pénitentiaire laisse à désirer ; les autorités n’ont rien fait pour l’améliorer au cours des années. Les responsables des prisons continuent d’utiliser un système de registre non informatisé bien qu’ils disposent du matériel informatique nécessaire, en invoquant le manque d’accès à l’Internet et de formation.
Une autre réalité qui mine le milieu carcéral congolais, c’est ce qu’il convient d’appeler le « mythe du chef ». Nombre de responsables du milieu pénitentiaire ont toujours du mal, psychologiquement, à créer un espace de dialogue avec les détenus. Ils sont généralement inaccessibles aux prisonniers. Il faut le dire, ils se préoccupent peu de ce que les prisonniers subissent et endurent au cours de leur séjour en prison. Ceci entraîne chez les détenus une attitude de silence, en présence des responsables, ils refusent par exemple, de dénoncer les traitements dont ils sont victimes, tel est le cas, lors de nos entretiens avec les détenus de la maison d’arrêt de Pointe-Noire. Au cours de ces entretiens, les détenus répondent, par peur de représailles des chefs, « qu’ils sont plus ou moins bien traités et que d’ailleurs c’est normal parce qu’ils sont des prisonniers ; aussi disent-ils, les responsables ont raison de les maintenir dans de telles conditions »[10]. Les prisonniers n’ont donc pas de recours, et se trouvent dans une situation où il faut accepter tous les traitements parce que les chefs en ont décidé ainsi. Pourtant, nous sommes persuadés qu’il faut briser « ce mythe du chef », car nos prisons ne peuvent être des lieux d’humanité que si les détenus ont le droit à la parole et sont écoutés.
V. Les perspectives d’amélioration des conditions de détention.
Il faut dire que la pauvreté des infrastructures carcérales est l’un des facteurs de violation des droits des détenus. Néanmoins, avec l’appui de certains partenaires internationaux, en l’occurrence l’Union européenne, des efforts ont été entrepris par le gouvernement pour améliorer les conditions de vie dans les milieux carcéraux. C’est ainsi que le gouvernement s’emploie à construire de nouveaux espaces d’emprisonnement, de nouvelles prisons, pour mieux contenir le nombre sans cesse croissant de la population carcérale. A titre d’exemple, la maison d’arrêt d’Impfondo, est un nouveau centre de détention. Des travaux de réhabilitation ont également été réalisés au niveau de la maison d’arrêt de Dolisie.
D’autres projets sont en cours d’exécution, à la maison d’arrêt de Brazzaville, des travaux de construction d’un atelier pour les détenus ont été engagés ; des travaux de réhabilitation des établissements carcéraux ont débuté à Pointe-Noire ; des travaux de construction des maisons d’arrêt d’Ewo et d’Owando ont également commencé.
V. Conclusion et recommandations.
Le constat général, est que la mise en œuvre effective des droits de l’homme en milieu carcéral congolais est paralysée par un certain nombre de pesanteurs. Il est utile de reconnaître l’humanité aux prisonniers pour surmonter le divorce entre droits de l’homme et milieu carcéral. Ce faisant, nous pouvons dire qu’en République du Congo, il reste beaucoup à faire pour que la mise en œuvre effective des droits de l’homme dans les milieux carcéraux soit une réalité et que les détenus qui croupissent dans les prisons puissent retrouver leur dignité. Dans cette perspective, RPDH recommande:
Au Gouvernement de :
– Garantir l’intégrité physique et psychologique de tous les détenus victimes de torture ; et prévenir cette pratique avilissante au moyen de la sensibilisation au sein de la force publique ;
– Prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux gardes à vue prolongées dans les Commissariats de Police et Postes de Gendarmerie ;
– Prendre toutes les dispositions légales pour mettre fin aux détentions abusives dans les prisons et centres de détention ;
– Prendre les mesures pour rappeler aux magistrats la nécessité de diligenter le traitement des dossiers des détenus dans les formations de jugement ;
– Lutter véritablement contre l’impunité en garantissant l’indépendance de la justice et en traduisant devant la justice les coupables de violations graves des droits des détenus ;
– Assurer l’amélioration des conditions de vie des détenus ; y compris de tous les aspects liés à l’hygiène du milieu carcéral ; afin de prévenir les maladies sévissant en milieu carcéral;
– Garantir l’accessibilité des personnes en détention aux services et aux soins de qualité ;
– Améliorer l’accès à l’eau potable ;
– Améliorer les conditions de travail du personnel judiciaire et pénitentiaire en modernisant les moyens de travail tant sur le plan humain, financier que matériel ;
– Encourager la communication entre les détenus et l’administration pénitentiaire ;
– Promouvoir l’enseignement, l’information et la formation des agents des forces de l’ordre aux questions des droits de l’homme ;
– Initier des « journées porte ouvertes » qui permettront aux populations, à travers des visites guidées, de mieux connaitre la prison et de voir les conditions dans lesquelles vivent les détenus ;
– Déployer un programme de soutien psychologique, de réadaptation et de réinsertion sociale des détenus.
– Réformer la législation afin de l’adapter aux normes internationales en matière de protection des droits des détenus
Aux Organisations Non Gouvernementales :
– Travailler en étroite collaboration avec les directions générale et départementales des droits de l’homme pour renforcer leurs actions;
– Mettre en place un réseau dynamique de partenariat entre l’administration pénitentiaire et les ONG de défense des droits de l’homme ;
– Mener un plaidoyer auprès du Gouvernement en vue de garantir les droits des citoyens et en particulier, ceux des personnes privées de libertés ;
– Mener des campagnes de sensibilisation à l’intention des détenus. Ces campagnes porteront sur la connaissance des droits et devoirs des détenus et se réaliseront avec le concours de l’administration pénitentiaire ;
– Mener des campagnes de sensibilisation à l’intention de l’opinion publique sur les conditions de détention dans les établissements carcéraux du Congo et susciter l’adhésion de celle-ci quant au besoin d’apporter une assistance multiforme aux détenus ;
– Faire le monitoring des violations des droits de l’homme.
Le Bureau Exécutif
Contacts Presse :
ABDOULAYE Sy, Assistant à la recherche +242 05 528 44 59
Fabrice KIMPOUTOU, Assistant à la recherche, +242 04 406 57 57
Roland Charlestone ITOUA, Stagiaire, +242 06 650 40 01
E-mail : rp.dh@laposte.net / Site web : www.rpdh-cg.org
[1] Décret n°2011-494 du 29 juillet 2011 portant attribution et organisation de la direction générale de l’administration pénitentiaire, Arrêté n°2772 du 18 Août 1955 règlementant le fonctionnement des établissements pénitentiaires et le travail des détenus en AEF, Arrêté n°12897/MJDH-CAB fixant les attributions et l’organisation des services et bureaux de la direction générale de l’administration pénitentiaire, Arrêté n°12898/MJDH-CAB fixant les attributions et l’organisation des maisons d’arrêt, Arrêté n°12900/MJDH-CAB portant règlement intérieur des maisons d’arrêt.
[2] En France, l’article 145 (1) du Code de procédure pénale prévoit en matière criminelle un délai de 04 mois, un délai d’un an voire deux ans est prévu pour les personnes mises en examen criminelle conformément à l’article 145 (2) du Code de procédure pénale français.
[3] Le Congo a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 29 août 2003.
[4] Le Congo n’a pas prévu, dans sa législation pénale, d’incrimination spécifique en lien avec la torture. Celle-ci est analysée comme circonstance aggravante de l’infraction de coups et blessures.
[5] C’est le fruit d’un entretien passé avec le Directeur de la Maison d’Arrêt d’Owando, M. Gaston IBONGO le 24 août 2014 lors de nos enquêtes de terrain à Owando.
[6] Propos recueillis auprès du Commandant de la Brigade de Recherches à la Brigade Territoriale d’Owando, le Lieutenant Christophe NGANDO, le 24 Aout 2014 lors des enquêtes de terrain à Owando.
[7] Note N°0350_CPS_MJDH_CAB du 27 Mars 2012, signée par le Ministre d’Etat, Coordonateur du Pôle de la Souveraineté, Garde de Sceaux et Ministre de la Justice et des Droits Humains.
[8] Propos recueillis auprès du Commissaire de police, le lieutenant Glen KISSITA, le 28 août 2014 lors de l’enquête de terrain à Ewo.
[9] Propos recueillis auprès de l’intendant de la maison d’arrêt de Ouesso, M. Philippe MONDZELI, le 02 septembre 2014 lors de l’enquête de terrain à Ouesso.
[10] C’est le fruit des entretiens avec certains détenus de la maison d’arrêt de Pointe-Noire qui ont préféré garder l’anonymat.