Exposer directement leurs besoins, dénoncer des cas d’exploitation illégale des forêts, … Longtemps exclus de la chaîne de décisions inhérentes à la gouvernance forestière, autochtones et communautés locales du département de la Lékoumou ont désormais voix au chapitre au terme de nouvelles politiques forestières. Mais d’énormes défis à relever.
Comme des chrétiens en pleine effusion de l’évangile. La comparaison n’a en réalité rien de rédhibitoire si l’on se réfère au périple effectué du 29 septembre au 2 octobre derniers par la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) dans huit villages du département de la Lékoumou. Il s’agit des localités de Missama, Loyo, Mapati et Mongo (Sibiti, chef-lieu du département) qui font partie des unités forestières d’exploitation (UFE) Mapati et Ingoumina-Lelali. Ainsi que les localités deMbaya et Mokina (Komono), et d’Ingolo I et II (Zanaga) dans l’UFE de Mpoukou-Ogoué.
Une mission menée dans le cadre du projet « Forêt, Gouvernance, Marché et Climat » (FGMC, Forest Governance, Market and Climate Programme) exécuté par l’OCDH et la RPDH et financé par le Foreign Commonwealth & Development Office (FCDO) du gouvernement britannique ainsi que des programmes telles que REDD+ qui bénéficie de l’appui financier de l’Agence française de développement (AFD).
L’objectif essentiel du projet est « d’apporter un appui aux communautés locales et populations autochtones en vue d’une participation efficiente et efficace dans la gestion des ressources forestières », comme cela est notifié dans les termes de référence du projet.
Le « diktat » des sociétés forestières
Un objectif qui procède du contexte. D’abord un contexte international à quelques jours de la 26ème Conférence des parties sur les changements climatiques (COP 26) qui aura lieu du 1er au 12 novembre prochains à Glasgow en Écosse. Laquelle COP 26 se tiendra non sans tenir compte des nouvelles exigences internationales telles que l’Initiative pour les Forêts d’Afrique Centrale (CAFI) et l’Accord de Partenariat Volontaire (APV/FLEGT) dont le Congo est partie prenante.
Au plan national, ça semble ne pas marcher comme sur les roulettes, notamment dans la Lékoumou. De l’exclusion de la prise des décisions au non-respect des lois en matière d’exploitation forestière en passant par la destruction des ressources, des cultures et la non-application du contenu des cahiers des charges, c’est peu dire que les Lékoumois comme beaucoup de leurs compatriotes ont souvent fait les frais de ces pratiques peu amènes, en total déphasage avec les 17 objectifs du développement durable (ODD).
« C’est nous qui les orientons dans la forêt. C’est nous les autochtones qui les conduisons là où se trouvent les essences. Mais que gagnons-nous en retour ? Pas grand-chose. On ne construit pas des infrastructures, alors que nos écoles n’ont pas de tables-bancs, nos dispensaires sans produits de première nécessité », déplorait Véronique Mouemé, une autochtone du village Loyo.
Même les Bantous sont logés à la même enseigne. « Tous, nous subissons le diktat des sociétés forestières. Quand nous nous plaignons, ces Asiatiques nous demandent d’aller nous plaindre auprès du chef de l’État », a pour sa part dénoncé un habitant de Missama.
Et pourtant, il est plus que temps de marquer une véritable rupture. « Nous sommes venus vous sensibiliser sur les nouvelles règles de la gouvernance forestière dans notre pays », annonçait dans chaque village, Fabrice Séverin Kimpoutou, chargé de la recherche à la RPDH et chef du projet. Question de préparer les riverains aux nouvelles règles de gestion forestière.
Les lignes commencent à bouger
De nouvelles règles contenues dans de nombreux nationaux textes dont la loi N°33-2020 portant Code Forestier de juillet 2020, le décret 20196-201 de juillet 2019 fixant les procédures de consultation et de participation des peuples autochtones aux projets et programmes de développement socio-économiques.
La nouvelle législation forestière en République du Congo institue par exemple des cadres de concertation dans les zones d’aménagement des forêts. Ce sont des espaces d’échanges ou de dialogue où sont représentés les CLPA, les représentants de l’État et ceux des entreprises.
Et les premiers cadres de concertation ont été mis en place en août et septembre derniers à Sibiti lors d’une réunion de ces trois entités en présence de la société civile. Ces cadres concernent les Unités d’exploitation forestière (UFE) dotées d’un plan d’aménagement. « Parmi les mesures phares, il y a l’obligation faite aux sociétés de verser une somme de 200 francs CFA (0,3 euros) par m3 de bois coupé dans les concessions forestières où il y a un plan d’aménagement forestier, conformément au code forestier », a expliqué Edouard Kibongui, représentant de l’OCDH.
Ce montant alimentera ainsi le Fonds de développement local (FDL) qui lui, financera les projets identifiés par elles-mêmes les populations riveraines pour le développement de leurs localités.
« Lorsqu’on part de 2018, l’UFE de Bambama a 22 millions de francs CFA (près de 34 000 euros). Ce montant sera réparti sur les vingt villages de l’UFE Bambama. De son côté, Mpoukou-Ogooué a 39 millions de francs CFA (59 541 euros) divisés par les quatre villages de l’UFE. Cet argent servira à financer les projets. Une commission tripartite (sociétés, collectivités locales et CPLA sera mise en place pour assurer la traçabilité et la transparence », explique Raphael Zanga, vice-président REDD+ dans la Lékoumou et point focal RPDH dans le département.
Des défis à relever et présence permanente d’ONG spécialisées
Voilà qui semble résonner comme la fin d’une gouvernance jusqu’ici peu ou pas bénéfique pour les CPLA du Congo en général et de la Lékoumou en particulier. Mais il y a du pessimisme dans l’air. « Que de projets ! Que de séances de sensibilisation ! Mais rien ne change ! », a lancé, visiblement désespéré, un jeune du village Mokina.
Allusion à peine voilée à la corruption qui gangrène la gouvernance, malgré l’existence des lois et institutions comme la Haute autorité de lutte contre la corruption (HALC instituée par la Loi n°3-2019 du 7 février 2019). En 2020 par exemple, le pays pointait à la 165ème place dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International. De là à craindre des pratiques comme le détournement des fonds du FDL ou le non-respect des obligations sociales des entreprises.
Il y a également le difficile accès aux instruments juridiques. Dans tous les huit villages couverts, les populations ont demandé que les lois, les arrêtés et les décrets soient mis à leur disposition pour poser leurs problèmes « de manière concrète » selon Ngoma Biyori du village Mapati.
« Vous avez raison. Mais vous avez le Centre d’assistance juridique et d’action citoyenne (CAJAC). Appelez-nous, nous verrons ensemble ce qu’il faudra faire en cas de violation de vos droits ou en cas de détection d’un cas de corruption », a rassuré Jesse Miyalou, responsable du CAJAC au sein de la RPDH.
Il y a donc nécessité pour les ONG impliquées dans la surveillance de la gouvernance forestière de maintenir des liens plus qu’étroits avec les CPLA de manière à mieux les aider à s’impliquer « avec efficience et efficacité » dans la gestion durable des forêts.
John Ndinga-Ngoma