Brazzaville-Pointe-Noire, le 03 Mai 2017. L’ Assemblée générale des Nations Unies a proclamé le 3 mai journée mondiale de la Liberté de la presse pour sensibiliser sur l’importance de cette liberté fondamentale et rappeler aux gouvernements leurs obligations de la respecter et de la faire respecter conformément à l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme et aux dispositions de la déclaration de Windhoek, déclaration des principes de la liberté de la presse adoptée par des journalistes africains en 1991. Le thème de la célébration de cette année est: « Des esprits critiques pour des temps critiques. Le rôle des médias dans la promotion des sociétés pacifiques, justes et inclusives ».
L’avènement de la démocratie dans les années 1990 a ouvert au Congo un voile sur la promotion et le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Au nombre de ces droits, l’on peut citer le droit à la liberté d’expression et d’opinion qui s’exerce à travers les médias. Les instruments juridiques internationaux, notamment la Déclaration des droits des peuples et du citoyen de 1789 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, reconnaissent ce droit à la liberté d’expression et d’opinion. Aux termes de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « Tout citoyen a droit la liberté d’opinion et d’expression ; ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». La Constitution du 06 novembre 2015 garantit à son tour la liberté d’expression et d’opinion. Celle-ci, en effet, dispose à l’article 25, que « tout citoyen a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, l’écrit, l’image ou par tout autre moyen de communication. La liberté de l’information et de la communication est garantie. La censure est prohibée. L’accès aux sources d’information est libre et protégé dans les conditions déterminées par la loi ». Le souci d’encadrer cette liberté d’expression et d’opinion a permis au législateur congolais de faire adopter la loi n° 8-2001 du 12 novembre 2001 sur la liberté de l’information et de la communication prévoyant la dépénalisation du délit de presse.
En dépit des efforts sur la mise en place d’un cadre juridique régissant et protégeant la profession de journalisme, le contexte actuel des médias témoigne de leurs difficultés à s’imposer dans la société congolaise, en tant que véritable quatrième pouvoir. En effet, jamais la liberté de la presse n’a été aussi bafouée. De l’avis même des journalistes, « malgré une avancée au plan textuel, notamment à travers une dépénalisation du délit de presse, il ya un écart entre les textes et la réalité. Pour preuve, des journalistes sont encore arrêtés et emprisonnés pour leurs écrits », a déclaré John NDINGA NGOMA, journaliste.
Les journalistes ont du mal à exercer leur métier en toute indépendance et à l’abri de pressions multiformes. Qu’il s’agisse de la presse publique ou privée, écrite ou audiovisuelle, les difficultés rencontrées sont les mêmes et conduisent toujours à des harcèlements et menaces, des arrestations et emprisonnement. Dans les médias publics un sujet ne correspondant pas aux attentes du pouvoir est simplement écarté ; ce qui encourage les journalistes des médias publics à la propagande. Dans les médias privés, le fait de ne pas faire la propagande du pouvoir expose le média à des menaces de fermeture. Dans beaucoup de cas, les médias privés sont en bonne partie contrôlés par le pouvoir ou ses représentants, ce qui limite leur indépendance.
En janvier 2017, le Conseil Supérieur de la Liberté de Communication (CSLC), organe de régulation des médias au Congo avait décidé d’interdire au journal privé « Thalassa » de faire des publications pour motif de non professionnalisme dans le traitement de ses informations. Ce journal est définitivement interdit de parution sous toutes les formes sur le territoire national, selon le CSLC, qui l’accuse d’avoir publié dans sa dernière édition un article « injurieux » et « offensant » à l’égard du chef de l’Etat. Cette décision du CSLC intervient après l’arrestation de son Directeur général, Ghys Fortuné DOMBE BEMBA, soupçonné d’avoir commis des faits de complicité d’atteinte à la sureté intérieure de l’Etat en relation avec l’ancien chef rebelle, Fréderic BINSTAMOU, alias Pasteur NTUMI.
Les journaux comme le Nouveau Regard, la Vérité, la Griffe ont également connu des interdictions de parution, d’autres comme le Trottoir, la voix du peuple, le Glaive, Sel Piment ont été suspendus. Au fond, on peut encore s’interroger sur la légitimité des sanctions prises par le CSLP, d’autant qu’elle aurait le droit de suspendre les organes de presse qu’en cas de non respect des cahiers de charge. Les sanctions prononcées contre les journaux cités plus haut sont donc arbitraires puisque la loi ne les prévoit pas. L’article 8 de la loi organique n°4 du 18 janvier 2003 lui donne la possibilité d’infliger à un organe des sanctions financières : « Lorsqu’un organe de presse se rend coupable de violations manifestes et répétées des lois et règlements régissant la liberté de la presse et de communication, le conseil de la liberté de communication à pouvoir de lui infliger des sanctions financières dont les modalités sont déterminées par voie réglementaire ».
L’environnement actuel des médias est fait de menaces et intimidations. Tel est le cas de Julie Marna MANKENE collaboratrice de Vox Congo et travaillant pour l’Agence Congolaise d’information. Elle a été interpelée le 22 avril 2017, puis conduite au Commissariat de KIBELIBA du quartier Talangaï pour avoir écrit un article sur les bébés noirs. La journaliste enquête depuis quelques mois sur le phénomène des bébés noirs à Brazzaville, elle a été relâchée dans l’après-midi du dimanche 23 avril 2017.
Au Congo, il y a des sujets dits « sensibles » pouvant heurter la classe dirigeante du pays que les journalistes ont du mal à aborder, deux journalistes italiens arrivés au Congo le 13 mars 2017, LUCA CHIANCA et PAOLA PALERMO ont été arrêtés puis expulsé le 15 mars 2017 parce qu’ils auraient fait des investigations sur une affaire de corruption entre ENI Congo et ENI Nigeria.
Les médias évoluent dans un contexte de peur et les journalistes craignent pour leur vie, ce qui les pousse à l’autocensure, voire à l’exil, tel est le cas du journaliste-reporter Christian PERRIN, victime de menaces et contraint à l’exil.
Face à cette situation, la RPDH regrette l’indifférence du CSLC et son faible engagement à protéger les médias, alors qu’il est un organe constitutionnel chargé de veiller au bon exercice de la liberté de l’information et de la communication, tel que prévu par les articles 212 et 213 de la Constitution du 06 novembre 2015. Au regard de la loi n°4-2003 du 18 Janvier 2003 déterminant ses missions, son organisation, sa composition et son fonctionnement, cette institution devrait « suivre les médias et assurer leur protection contre les menaces et entraves dans l’exercice de leur fonction d’information libre et complète ». Selon la dernière évaluation de Reporters sans frontières, le baromètre mondial de la presse, le Congo a perdu 25 places et occupe désormais la 107è place sur les 180 pays concernés par ce classement.
La Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme déplore les violations répétées de la liberté de la presse au Congo, à travers le harcèlement, les menaces, les interpellations et arrestations dont sont victimes les journalistes. L’Organisation estime que la liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux du système démocratique qui repose sur la liberté d’opinion, la liberté mentale et d’expression. Un pays où la liberté de la presse n’est pas respectée remet en cause sa démocratie et perd toute crédibilité. Sans des médias effectivement libres, les journalistes ne peuvent promouvoir des sociétés pacifiques, justes et inclusives.
Fort de ce qui précède, et pour rendre effective la liberté de la presse au Congo, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme estime qu’il est urgent pour le Gouvernement de :
- Libérer immédiatement et sans condition, Ghys Fortuné DOMBE BEMBA, directeur de publication du Journal privé Thalassa, détenu pour ses opinions ;
- Mettre un terme immédiat à toute forme de harcèlements, de menaces et d’intimidation à l’encontre des organes de presse et des journalistes ;
- Laisser les journalistes étrangers mener des investigations sans entraves sur le territoire national ;
- Faire les états généraux de la presse au Congo ;
- Dissoudre le Conseil Supérieur de la Liberté de Communication et mettre en place un nouvel organe dont le président ne devait plus être nommé par le Chef de l’Etat mais plutôt par les journalistes ;
- Garantir la liberté d’expression, la liberté de la presse, en tant que droits fondamentaux de la personne humaine ;
- Promouvoir la liberté de la presse, l’indépendance et le pluralisme des médias, la démocratie, la paix et la tolérance ;
- Se conformer aux dispositions de la Constitution du 06 novembre 2015 sur la liberté de la presse et aux différents instruments juridiques internationaux en matière des droits de l’homme ratifiés par le Congo.
Fait à Pointe-Noire le 03 Mai 2017