De l’Urgence de garantir effectivement la liberté de la presse au Congo-Brazzaville !
Brazzaville – Pointe Noire, le 03 mai 2014. Il n’existe guère de démocratie sans liberté de la presse. Cette vérité est consacrée dans la Constitution congolaise du 20 janvier 2002, qui stipule en son article 19 : « Tout citoyen a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, l’écrit, l’image ou tout autre moyen de communication. La liberté de l’information et de la communication est garantie. La censure est prohibée. L’accès aux sources d’information est libre. Tout citoyen a droit à l’information et à la communication. Les activités relatives à ces domaines s’exercent dans le respect de la loi ». Alors que la communauté nationale et internationale commémore la Journée mondiale de la liberté de la presse, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) rappelle que les médias libres constituent un indicateur de la bonne gouvernance et de développement démocratique dans un pays. Sans cette liberté d’action, ils ne pourraient contribuer en aucune façon au développement.
L’article 19 de la DUDH affirme le droit pour « tout citoyen à la liberté d’opinion et d’expression ; ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Cette proclamation est reprise par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui stipule : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions-toute personne a droit à la liberté d’expression ». Au Congo, la loi n°8 du 12 novembre 2001 sur la liberté de la communication et de l’information, élargit l’espace de la liberté de la presse en indiquant que la liberté d’exprimer ses idées et ses opinions par tout moyen de communication est reconnue à tout citoyen. Même la communication audiovisuelle est totalement libre, d’après la loi n°15 du 31 décembre 2001.
Face à ces engagements, la RPDH note avec préoccupation qu’au plan pratique, la situation des médias au Congo est loin de refléter le contenu des instruments suscités, au regard de la fréquence des menaces, attaques et intimidations contre les journalistes. De même, la censure et l’autocensure des organes de presse sont une réalité incontestable. Cet environnement illustre à bien des égards, la mise en scène d’une campagne de harcèlement dirigée contre la presse ; ceci témoignant d’une volonté à peine dissimulée de faire obstruction à l’exercice libre et indépendant de cette profession au Congo.
A titre purement illustratif, depuis octobre 2013, la RPDH a été informée des menaces verbales proférées par le Préfet du département de Pointe-Noire à l’endroit d’un journaliste de la chaîne privée Télé Pour Tous, Tchiv Tchivongo. A cet effet, sa camera de reportage fut saisie alors qu’il interrogeait le Secrétaire général de la préfecture. Ces menaces faisaient suite à la diffusion d’un reportage dénonçant l’annulation par la Préfecture d’une réunion des propriétaires terriens du Kouilou sur le déguerpissement des occupants du plateau de Hinda.
Madame Sadio Kanté, correspondante de l’agence Reuters, a été agressée le lundi 16 septembre 2013 au Palais de Justice de Brazzaville, alors qu’elle avait en sa possession une accréditation des autorités congolaises. Cette agression et ces voies de fait ont été commises par les gendarmes, bien qu’elle ait pris le soin de leur signaler qu’elle portait une prothèse à la hanche. Les gendarmes lui ont reproché le fait d’avoir pris l’image de l’immeuble du Palais de justice pour le décor de son reportage, au lendemain du procès des explosions du 4 mars à Mpila.
La journaliste a perdu son matériel de travail. Il sied de signaler qu’à la veille de cet évènement, l’infortunée avait interviewé Marcel N’Tsourou, principal accusé du procès des explosions du 4 mars, condamné par la suite.
Le 20 avril 2014, Christian Perrin, journaliste-reporter, a été molesté par les policiers en poste au niveau du péage de Ngoyo, après qui ait été traité de « journaliste de l’opposition », avant d’être conduit au commissariat central de Pointe-Noire. Ce dernier a été relâché quelques heures plus tard de la même journée.
La RPDH regrette l’absence de réaction particulière du Conseil Supérieur de la Liberté de la Communication (CSLC) face à ces actes. Le CSLC est une entité constitutionnelle chargée de veiller au bon fonctionnement de la liberté de l’information et de la communication, tel que prévu par les articles 161 et 162 de la Constitution du 20 Janvier 2002 et par la loi organique n°4 du 18 janvier 2003. (1) Bien que l’article 8 de la loi organique lui reconnaisse le droit d’infliger des sanctions financières aux organes de presse en cas de non respect du cahier de charge, cette institution devrait également protéger les médias en cas de menace. Les sanctions échappant aux prescriptions légales s’avèrent arbitraires.
L’organisation estime que le Conseil supérieur de la liberté de communication ne joue pas véritablement son rôle, à savoir : garantir et assurer la liberté et la protection de la presse. En effet, les sanctions considérées comme abusives et récurrentes ces derniers mois à l’égard d’une presse trop critique envers le pouvoir, témoignent d’une tentative de conditionner la liberté des médias, indépendamment du fait de quelques écarts à noter dans la pratique de certains journalistes.
Dans ce registre, la RPDH inscrit la suspension de quatre mois infligée le 5 décembre 2013, aux hebdomadaires La Griffe, la Vérité, le Nouveau regard, très critiques à l’égard de l’action du Gouvernement. Ces journaux ont été taxés par le CSLC de poser des actes visant à la manipulation de l’opinion, incitation à la violence et à la division, et atteinte à la sureté nationale. De même, la Radio Louvakou à Dolisie se trouve suspendue depuis décembre 2013, pour vétusté de matériel et local inadapté. Quand bien même, cette radio a été relocalisée et les installations ont subi des aménagements, les délégués locaux du Conseil rechignent à lui attribuer les autorisations nécessaires à la reprise de ses émissions.
De l’aveu même des journalistes, un climat de psychose et de résignation est régulièrement entretenu dans la corporation, notamment au sein des médias publics, sur le libre traitement des sujets dits « sensibles » et pouvant heurter la classe dirigeante du pays. C’est ainsi que l’autocensure s’enracine de plus en plus au sein des organes de presse, de sorte à limiter leur champ d’action. Ce constat est criard et conforte les craintes de verser à cette allure dans une presse partisane, non objective et inféodée au pouvoir.
Il sied de mentionner un facteur important dans l’appui promis aux médias, qui pourrait garantir leur autonomie financière et renforcer leur professionnalisme. Cet appui, qui prévoit une aide publique aux organes de la presse, selon les prescriptions de l’article 8 de la loi sur la liberté de la presse, tarde à se concrétiser, faute de textes d’application. Des journalistes ont déploré l’allocation de subventions aux seuls organes faisant l’apologie du pouvoir, créant ainsi une ligne de financement non objective et discriminatoire. Dans le cas d’espèce, les organes financés disent pratiquer une « presse républicaine », c’est-à-dire visant à préserver l’image du pays.
La RPDH s’inquiète cependant de ce qu’une telle option ne limite considérablement le traitement objectif et impartial de l’information et ne fasse tomber lesdits organes dans le propagandisme en faveur des tenants du pouvoir. La presse devrait, au même titre que les partis politiques, bénéficier de l’appui de l’Etat ce, quelque soit la ligne éditoriale.
Par ailleurs, la loi prévoit en son article 94 une rémunération adéquate à l’endroit des professionnels des médias, sans pour autant que la convention collective ne soit à ce jour appliquée par les promoteurs des organes de presse. Ainsi, la faiblesse des rémunérations dans le secteur expose ces derniers à la corruption dans le traitement objectif de l’information, ainsi qu’à la commercialisation de celle-ci, partant de leur dépendance vis-à-vis des « sponsors éventuels ». La réalité montre que les médias au Congo, tant dans la presse publique ou privée, audiovisuelle et écrite, tirent leurs principales sources de revenus des publicités si ce n’est dans la couverture d’activités politiques, appauvrissant ainsi qualitativement les grilles de programmes proposées. Ce désintéressement trouve sa source dans le manque de confiance de l’opinion vis-à-vis des médias locaux, taxés parfois à juste titre de constituer une presse aux ordres.
Le manque de formation et les conditions précaires dans lesquels exercent les journalistes, surtout au niveau des structures publiques, – à savoir le non accès régulier à l’internet, le manque de matériel didactique, les conditions de travail rustiques et l’absence de recyclage, limitent considérablement leur performance.
En outre, l’accès difficile à l’information, voire aux sources est une sérieuse préoccupation, qui favorise la propagation des rumeurs. En effet, les médias dénoncent le manque de collaboration tant au niveau des pouvoirs publics que des structures privées, ceux-ci ne livrant l’information que lorsque cela les arrange. Cette difficulté à laquelle se heurtent quotidiennement les professionnels des médias entraîne de graves complications dans leur travail d’investigation, les divers dossiers d’enquêtes se soldant par un abandon de leur part. Pour preuve, à Pointe-Noire, des journalistes ont révélé que nombre de responsables d’administrations publiques abordés dans le cadre de la recherche d’informations liées à leurs structures, s’en réfèrent aux autorisations de leur hiérarchie à Brazzaville pour pouvoir s’exprimer librement sur les sujets en cause. Face à ce constat, un journaliste admettait, lors d’un entretien, ne plus devoir se focaliser que sur des données non vérifiables pour contourner la difficulté, quand les sources ne veulent pas collaborer et apporter des informations fiables.
Enfin, du fait des difficultés administratives et financières auxquelles la presse congolaise se trouve confrontée, on relève que sur plus d’une centaine de journaux déclarés, une dizaine seulement paraît régulièrement et bénéficie d’une relative aisance financière.
En relation avec ce qui précède et en vue d’améliorer l’exercice du droit à la liberté de la presse au Congo, la RPDH recommande au Gouvernement de la République de :
– Garantir l’indépendance totale des médias en assurant le financement de leurs activités sans aucune distinction, tels que cela se fait avec les partis politiques, tout en leur assurant un meilleur environnement de travail ;
– Garantir la sécurité des journalistes en mettant un terme définitif aux menaces et intimidations ;
– Procéder à l’adoption définitive de la convention collective devant régir la profession ;
– Publier tous les textes d’application de la loi n°8-2001 sur la liberté de l’information et de la communication ;
– Veiller au respect par les médias de la déontologie dans le traitement de l’information ;
– Promouvoir le pluralisme d’opinions dans le traitement et la diffusion de l’information, comme un des principes majeurs de la liberté de la presse ;
– Assurer le renforcement des capacités ;
– Promouvoir le recyclage des journalistes tout en adaptant les modules de formation aux nouvelles technologies de l’information et la communication;
– Se conformer aux dispositions de la Constitution du 20 Janvier 2002 sur la liberté de la presse et aux différents instruments juridiques nationaux et internationaux ratifiés par le Congo en matière de respect des droits de l’Homme.
Contacts Presse :
Franck Loufoua-Bessi, Assistant aux Programmes : 242 05 550 45 20
Abdoulaye Sy, Assistant à la recherche : 242 05 528 44 59.
E-mail : rp.dh@laposte.net Site web : www.rpdh-cg.org
Notes: (1) l’article 8 de la loi organique : « Lorsqu’un organe de presse se rend coupable de violations manifestes et répétées des lois et règlements régissant la liberté de la presse et de communication, le conseil de la liberté de communication a le pouvoir de lui infliger des sanctions financières dont les modalités sont déterminées par voie réglementaire ».