Congo-Brazzaville : Des préoccupations demeurent en matière d’accès à l’eau et dans la gestion responsable des forêts !
Brazzaville – Pointe Noire, les 21 et 22 mars 2014.
Au centre des priorités de l’agenda écologique mondial, figure la dynamique de préservation et d’utilisation rationnelle des ressources de la planète, avec un accent particulier sur la protection et la gestion durable des forêts. L’accès à l’eau et à l’assainissement constitue également un droit fondamental reconnu par les Nations Unies. Pourtant, le rapport 2013 du Programme commun de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de l’UNICEF sur le suivi de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, établit à 2,5 milliards, le nombre de personnes qui n’ont toujours pas accès à un système d’assainissement performant et à plus de 768 millions, le nombre d’individus ne pouvant accéder à des points d’eau améliorés. Ainsi, seuls 61% des populations d’Afrique subsaharienne ont accès à l’eau potable, contre plus de 90% en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Afrique du Nord et dans une grande partie de l’Asie. On note à cet effet que plus de 40% des habitants du globe qui n’ont pas accès à l’eau potable vivent en Afrique subsaharienne.
Par sa situation géographique, le Congo regorge d’atouts naturels, notamment d’énormes ressources forestières et hydriques, pour assurer aussi bien son développement économique et pour renforcer sa position stratégique au niveau de la sous-région d’Afrique Centrale : Il couvre à lui seul 10% des forêts denses et humides du Bassin du Congo, deuxième réservoir mondial après l’Amazonie, grâce à la richesse de sa biodiversité. Sa superficie est couverte de 65% de forêts denses tropicales humides, soit au total 22.471.271 millions d’hectares de forêts. Le territoire national, riche en réserves hydriques, est arrosé du nord au sud par les différents affluents du fleuve Congo et par de nombreux cours d’eau, sans oublier sa porte océane qui s’étend sur 170 km. Le rôle du massif forestier national dans la protection des bassins, le maintien de la qualité et de la quantité d’eau, ainsi que la régularisation des climats et la lutte contre les érosions, ne peut être remis en cause ; surtout en cette période de saison des pluies qui désolent de nombreuses familles à Brazzaville et Pointe-Noire.
L’engagement de l’Etat congolais en termes de gestion durable des secteurs des forêts et de l’eau, s’est traduit par l’adoption ces dernières années d’une législation assez progressiste. Un nouveau Code forestier a ainsi été adopté en mars 2000, instituant un cadre juridique approprié pour assurer un usage rationnel des ressources forestières. La loi n°003-91 du 23 avril 1991 sur la protection de l’environnement soumet l’exercice de certaines activités du secteur à des autorisations, sous peine de sanctions, en cas de dégradation de l’environnement.
Ces textes nationaux complètent les instruments internationaux, tel l’Accord de Partenariat Volontaire (APV) signé en 2007 entre le Congo et l’Union européenne en faveur d’une gestion durable des forêts du Congo. Cet accord avait entre autre objectifs, de promouvoir la gestion durable des forêts du Bassin du Congo, promouvoir un dialogue direct entre le secteur privé, la société civile et le Gouvernement congolais, et de renforcer le contrôle du secteur forestier.
Cependant, pour la RPDH, la mise en œuvre effective de cet accord sept ans après son adoption suscite interrogations et inquiétudes. En effet, dans les communautés riveraines des exploitations industrielles, les problématiques d’accès à l’eau potable, de l’environnement, de protection des forêts sont sujets à débats. De même, l’on peut s’interroger sur l’application effective du Système de Vérification de la Légalité (SVL) et de la traçabilité du bois commercialisé. L’accord prévoit la mise en place par le Congo d’un système de traçabilité du bois. Cet accord entendait créer un logiciel de traçabilité incluant les informations de production des compagnies forestières, par la suite validées par le Service de Contrôle des Produits Forestiers à l’Exportation (SCPFE). Les recherches de la RPDH établissent que la plupart de ces attentes sont demeurées dans leur phase conceptuelle et les avancées insignifiantes, en particulier dans le cas des entreprises exerçant dans la partie méridionale du pays.
Au niveau du secteur forestier, la RPDH note une évolution positive dans le nouveau Code forestier du Congo. Cette nouvelle norme forestière exige l’élaboration et l’application d’un plan d’aménagement, trame de fond de la politique forestière nationale. Ce texte repose sur des principes de gestion durable des ressources forestières, et de gestion participative impliquant les pouvoirs publics, les populations rurales, le secteur privé et les ONG. De plus, la révision de ladite loi, pour l’arrimer aux standards internationaux, est prévue tous les cinq (05) ans.
La RPDH souligne toutefois que l’objectif visé ne saurait se limiter à la ratification d’instruments juridiques quoique pertinents, sur la réglementation du secteur forestier. Il s’agit surtout d’œuvrer pour que ces mécanismes certes innovants aient un impact réel sur le développement du pays et le devenir des communautés. Au-delà, de la révision du cadre législatif, des lacunes persistent en matière d’élaboration et de suivi des plans d’aménagement, de transformation, d’attribution des concessions forestières, de recouvrement des taxes et redevances. L’application de plans d’aménagement s’avère difficile du fait de la faiblesse des capacités des institutions nationales du secteur, ainsi que des problèmes techniques et d’inadaptation aux conditions socioéconomiques locales.
Il convient de mentionner aussi que la législation est incomplète, s’agissant de l’administration des forêts communautaires. Au Congo, les forêts de développement communautaire n’ont pas de statut particulier, la loi se contentant de dire qu’elles sont affectées à la subsistance des populations qui y résident. Elle ajoute que, selon les besoins, l’Etat pourra garantir le maintien des espèces forestières nécessaires à ces populations et entreprendre des programmes de développement économique à leur bénéfice. Ce vide juridique peut constituer une source de violations des droits des communautés, dont la survie repose sur ces espaces de forêts, ne devant guère être exploités.
La RPDH n’a pas connaissance d’une évaluation de l’impact de l’exploitation sur le massif forestier congolais à ce jour. L’absence de contrôle et de surveillance de ces forêts n’est pas sans incidence sur la durabilité écologique des activités d’exploitation. L’exploitation des forêts a facilité la chasse commerciale du gibier. Cette chasse contribue à décimer la faune dans bien des zones. La perte de la diversité biologique qui résulte de l’exploitation forestière entraîne des conséquences à la fois écologiques et sociales incalculables pour les populations.
Pour sa part, l’accès à l’eau est un droit naturel humain et fondamental pour l’existence, car « sans eau, il n’y a pas de vie ». L’eau constitue un aliment et un nutriment essentiel et indispensable à la survie de la population. L’accès à l’eau est inhérent à la capacité à se fournir en eau nécessaire aux divers besoins. Il s’agit d’une eau propre destinée à la consommation et à l’alimentation directe. Elle doit être claire, avoir une bonne odeur et un bon gout et en plus être réputée agréable à boire. Elle ne doit pas contenir des germes pathogènes et nocifs à la santé ainsi que des produits chimiques ayant excédé la quantité légale normalement admise. Le droit d’accès à l’eau potable est lié au droit à la santé.
Le droit d’accès à l’eau potable n’est pas expressément consacré dans les textes juridiques. Il est vrai que « l’accès à des eaux utilisables est un besoin essentiel de l’homme et, partant, un droit de l’homme fondamental ». Ce droit est indissociable et indiscutable de celui des êtres humains à la santé. Le droit d’accès à l’eau potable est un droit à la vie et à la dignité humaine. Certains textes de droit international à l’instar de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 en son article 24 – alinéa 2, et de la Charte européenne de l’eau du 17 octobre 2001, intègrent le fondement juridique du droit à l’eau ; de même, l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques et socioculturels fait état d’une obligation pour l’Etat d’assurer le meilleur état de santé à ses citoyens. Ce texte renvoie à une obligation pour l’Etat de donner accès à l’eau potable aux citoyens afin de lutter, de manière préventive, contre la propension des maladies qualifiées épidémiques et pandémiques provenant des eaux insalubres. Le droit d’accès à l’eau fait ainsi partie des droits économiques et socioculturels. Partant, l’observation générale n°15 du Comité des Droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies stipule : « le droit à l’eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualitéacceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ». Dans le cadre régional africain, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, adoptée à Addis-Abeba en 1990, prévoit dans son article 12 une obligation pour les États africains, de prendre les mesures nécessaires permettant de « garantir la fourniture d’une alimentation et d’une eau de boisson saine en quantité suffisante » aux enfants.
En termes d’accès à l’eau, le Congo s’est doté d’un certain nombre d’instruments et d’organes institutionnels chargés de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique nationale de l’eau. Il s’agit au plan juridique, de la loi n°13-2003 du 10 avril 2003 portant Code de l’eau. Du Ministère de l’Energie et de l’Hydraulique au niveau exécutif, et de la Société Nationale de Distribution d’Eau (SNDE) au niveau opérationnel.
Malgré tout, la RPDH constate l’inexistence d’une politique efficace de l’eau dans le pays. A l’observation, le traitement des problématiques liées à l’accès à l’eau potable demeure marginal, en dépit de l’existence d’un département ministériel. Certes, il existe un cadre normatif qui encadre la gestion de l’eau. Mais tous ces éléments ne sont pas structurés autour d’une véritable stratégie qui fait de l’eau une ressource, donc un enjeu de développement qu’il faille préserver, utiliser de façon durable et rationnelle, autant qu’une question de santé publique par-dessus-tout. En fait, la gestion de l’eau au Congo est une affaire de l’Etat, puissance publique et de son agence d’exécution que constitue la SNDE.
En outre, force est de constater qu’il n’existe pas de déclinaison de la gestion de l’eau en terme de programme, assorti d’actions claires à réaliser sur une ou plusieurs années, auxquelles correspondraient des moyens précis, un chronogramme d’exécution permettant d’assurer le suivi-évaluation, et des responsables clairement désignés. Actuellement, la politique de l’Etat repose essentiellement sur l’usage des forages d’eau potable, pouvant entraîner à termes l’épuisement des eaux souterraines de la nappe phréatique. Face aux dangers qu’induisent les changements climatiques et l’avancée désertique prévisible, une politique rationnelle consisterait à se focaliser sur les eaux de surface.D’autre part, la vétusté du réseau de distribution entraîne la méfiance de la population vis-à-vis de l’eau desservie par la SNDE, les cas étant nombreux en saison des pluies notamment, où l’on peut observer des déchets issus de l’eau des robinets, faisant ainsi planer un doute certain sur la qualité de celle-ci.
En conséquence, la situation en matière d’accès à l’eau potable reste largement précaire. Sur la base des entretiens de la RPDH avec les ménages dans les quartiers OCH, Mvoumvou et Loandjili-district à Pointe-Noire, il ressort que l’eau est une denrée plus que rare, d’ailleurs, «on ne peut plus parler de rareté, mais plutôt de pénurie d’eau » déclarait une dame du quartier OCH. L’eau dans cette zone ne coule plus depuis plus de huit (08) mois. Les robinets se sont asséchés. Pour se ravitailler en eau, les ménages recourent aux forages privés, or à ce niveau les services ne sont pas gratuits, car un bidon de 25 litres est facturé 50 Frs CFA et son transport 100 à 150 Frs. Etant donné que la famille congolaise est par nature nombreuse, il faut pour satisfaire les besoins en eau, 10 à 15 bidons voire même 20 bidons par jour, ce qui correspondrait à la somme de 3000 FCFA par jour, soit 12.000 FCFA pour quatre jours d’approvisionnement par semaine et 48.000 FCFA le mois. Les familles visitées ont fait constater le désintéressement de la SNDE, du fait que les agents ne passent plus déposer les factures dans la zone. A Mvoumvou, dans le secteur du stade ANSELMI, la fréquence de la fourniture d’eau est irrégulière en raison des coupures d’électricité.
La spécificité de ce secteur repose dans la rareté des forages, même privés, les populations sont donc tenues de se rendre un peu plus loin pour pouvoir s’approvisionner en eau, ce qui pose d’énormes problèmes de transport et de coût financier. Au niveau du quartier Loandjili, les ménages recourent à d’autres moyens, impliquant des forages et puits traditionnels : ce qui nécessite des dépenses supplémentaires pour les familles concernées. Toutefois, il a été constaté à Loandjili comme à Mvoumvou que les agents de la SNDE déposaient des factures de consommation d’eau chaque fin de bimestre.
L’absence de contrôle systématique par l’Etat des réserves de la nappe phréatique, dans le dessein de mieux réguler l’activité des opérateurs privés en matière de fourniture d’eau potable aux usagers, et de préserver l’équilibre des écosystèmes tel que le stipule l’article 10 de la loi n°13-2003 du 10 avril 2003 portant Code de l’eau en République du Congo, peut constituer un danger en termes d’accès permanent des générations actuelles et futures aux ressources hydriques du pays.
Malgré le contexte opportun dans lequel se trouve le Congo, la gestion des forêts demeure problématique et la question de l’accès des populations à l’eau potable une véritable gageure. Partant de ce constat, la République du Congo ne pourrait atteindre la cible de l’eau potable pour tous, axe majeur des Objectifs du Millénaire pour le Développement, qui prévoient d’ici à 2015, de réduire de moitié le pourcentage des peuples n’ayant pas accès à un approvisionnement régulier en eau potable.
Cet état de fait APPELLE de la part des pouvoirs publics des solutions appropriées, pour pallier aux nombreux déficits identifiés dans les secteurs respectifs des forêts et de l’eau au Congo. Afin d’améliorer la gouvernance du secteur des forêts et de l’eau, la RPDH formule les recommandations ci-après au Gouvernement de la République :
– Assurer la protection du patrimoine forestier congolais tout en participant à la sauvegarde de l’environnement et à la préservation de la biodiversité ;
– Améliorer l’intégration des ressources forestières dans le développement rural afin de contribuer à rehausser le niveau de vie des populations en assurant leur participation à la conservation ;
– Accentuer la promotion des nouvelles essences forestières en vue d’augmenter la part de la production forestière dans le Produit Intérieur Brut, et contribuer à la conservation du potentiel productif ;
– Renforcer le cadre juridique et institutionnel relatif à l’exploitation, la commercialisation et la conservation des écosystèmes forestiers par les différents acteurs ;
– Garantir l’effectivité et la transparence du processus de certification des produits de l’économie de la nature et la traçabilité budgétaire des ressources résultant de l’exploitation des forêts ;
– Dynamiser le secteur forestier en renforçant le système institutionnel actuel et en garantissant le dialogue et la participation des différentes parties prenantes dans la gestion du secteur ;
– Garantir l’accès effectif des populations à l’eau potable au moyen d’une politique publique rationnelle ;
– Renforcer le cadre institutionnel de la gestion de l’eau, en veillant à l’application des dispositions légales sur les aspects en relation avec la protection quantitative et qualitative des ressources en eau ;
– Renforcer le niveau d’approvisionnement des populations urbaines et périurbaines en réhabilitant et en procédant à l’extension des installations de fourniture d’eau sur la base des eaux disponibles en surface ;
– Mettre en place une politique adéquate et des stratégies efficaces, à même de garantir une meilleure prise en compte des préoccupations liées à l’assainissement ;
– Se conformer aux dispositions constitutionnelles et à celles du droit international en lien avec l’obligation de l’Etat de garantir l’accès de tout un chacun à une eau qualitative, disponible et accessible.
Fait à Pointe-Noire, le 22 Mars 2014
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