Brazzaville-Pointe-Noire, le 3 Mai 2012.Le monde célèbre la journée internationale de la liberté de la presse sur le thème « Les nouvelles voix : la liberté de la presse et son rôle dans le changement des sociétés ». Ce thème évocateur réaffirme le devoir de mieux protéger les journalistes face aux violations subies dans l’exercice de leur métier. La Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) saisit cette occasion pour faire l’état des lieux de la situation des médias au Congo.
La liberté d’expression et d’opinion constitue un des ferments de l’Etat de droit ; voilà pourquoi la constitution du 20 janvier 2002 ainsi que les divers instruments régionaux et internationaux de protection des droits de l’Homme reconnaissent et protègent la profession du journalisme. D’autre part, l’adoption par le législateur congolais de la loi n°8-2001 du 12 novembre 2001 sur la liberté de l’information et de la communication, prévoyant entre autres, la dépénalisation des délits de presse, incarne une certaine volonté d’autonomisation de ce secteur. Toutefois, au regard du contexte actuel, la presse au Congo a encore de sérieux obstacles qui handicapent sa liberté d’action, voire son indépendance.
Malgré les efforts de l’exécutif sur la mise en place d’un cadre juridique protégeant la profession et le fait qu’il n’y ait pas formellement de journaliste emprisonné, la lecture de l’environnement des médias dénote d’une absence réelle de liberté susceptible de consolider la presse en tant que quatrième pouvoir.
En effet, les médias évoluent, de l’avis même des journalistes, dans un climat de psychose et de résignation, particulièrement dans les médias publics. Cet état de fait restreint leur marge de manœuvre sur le traitement des sujets dits « sensibles ». L’autocensure s’enracine et limite ainsi leur champ d’intervention. Ce constat est frappant et les craintes sont évidentes de voir la presse se transformer en instrument de propagande officielle et perdre de ce point de vue son objectivité.
La RPDH estime que les récentes sorties (1) du Conseil Supérieur de la Liberté de Communication (CSLC) à l’égard des médias, suite aux évènements du 4 mars 2012, appuient cette hypothèse et visent à restreindre le plein exercice de la liberté de presse au Congo. Ces pratiques inconcevables dans un Etat de droit, peuvent être assimilées à une campagne d’intimidation. Elles procèdent de l’infantilisation, de la captation mais surtout participent à apprivoiser les médias. Ainsi, la censure étant prohibée au Congo, les médias devraient être encouragés à être professionnels, à respecter la déontologie et l’éthique.
L’article 8 de la loi précitée prévoit une aide publique aux médias. Non seulement, aucun texte d’application y relatif n’a été pris depuis, le gouvernement accorde des allocations aux seuls organes adhérant aux idéaux du pouvoir en place, créant de ce point de vue une ligne de financement non objective. Cette prise en charge discriminatoire crée deux niveaux de la presse au Congo : « Une presse dite responsable », celle dont l’activité tend à tout prix à préserver l’image du pouvoir en place, quoi qu’il en coûte ; et une « presse dite de l’opposition », c’est-à-dire la presse qui critique l’exécutif et les travers de la gestion publique. L’organisation s’inquiète de ce qu’une telle perspective limite considérablement le traitement objectif et impartial de l’information. La presse devrait, au même titre que les partis politiques, bénéficier de l’appui de l’Etat, quelque soit la ligne éditoriale.
La loi prévoit par ailleurs, des rémunérations adéquates aux professionnels des médias (art 94), pourtant la convention collective n’est pas appliquée par les promoteurs des organes de presse. La faiblesse des rémunérations dans le secteur, associée au statut de pigistes de certains journalistes (2), expose les professionnels des médias à la corruption et les rend vulnérables et incapables de traiter l’information sans la monnayer. (3). Le manque de formation et les conditions précaires (4) dans lesquels exercent les journalistes, limitent également leur champ d’action. Ainsi, s’expliquent les faibles prestations, le manque de conscience professionnelle, la promotion des anti valeurs au sein de la corporation.
S’agissant des sources de subsistance, les médias ne peuvent partout ailleurs fonctionner sans l’aide de la publicité et du sponsoring. Dans un contexte où les ressources et les affaires sont contrôlées par le pouvoir, il est difficile pour la presse privée et particulièrement celle qui a tendance à critiquer de pérenniser le partenariat avec les entreprises publiques ou privées afin d’obtenir de la publicité. Les médias dans ces conditions se consolent en couvrant l’actualité politique rémunératrice au détriment de l’information, ce qui appauvrit la grille des programmes des rédactions.
Il importe de noter que la question de l’accès aux sources d’information constitue un obstacle majeur au traitement objectif de l’information. Cette difficulté accentue la propension à rapporter la rumeur dans les organes de presse au Congo. Les pouvoirs publics ne collaborent pas généralement, excepté dans les cas de propagande politique. Du fait de cette inaccessibilité quotidienne des professionnels des médias aux sources, le journalisme d’investigation se trouve être sérieusement limité, et les dossiers d’enquêtes simplement abandonnés. Pour preuve, à Pointe-Noire, un sondage de la RPDH auprès des journalistes, révèle que nombre de responsables d’administrations publiques abordés dans le cadre de la recherche d’informations liées à leur structure, s’en réfèrent systématiquement aux autorisations préalables de leur direction à Brazzaville pour pouvoir s’exprimer librement sur les sujets en cause. Face à ce constat, un journaliste a admis, lors d’un échange avec la RPDH, ne devoir plus se focaliser que sur les données non vérifiables pour contourner le refus de collaborer des sources d’information.
La RPDH rappelle que dans un passé récent, des professionnels des médias ont été inquiétés dans le cadre de leur activité. Les sanctions répétées, voire abusives du Conseil Supérieur de la Liberté de Communication cache difficilement une tendance à museler les organes de la presse qui affichent une certaine indépendance.
La RPDH note que la liberté de la presse fait partie des libertés fondamentales indispensables à l’exercice démocratique. L’Etat congolais a l’obligation de tout mettre en œuvre pour assurer le respect ainsi que la mise en œuvre pleine et effective des dispositions constitutionnelles garantissant cette liberté.
Les campagnes d’intimidation à l’endroit des journalistes, les activités pernicieuses et sournoises orchestrées en vue de conditionner le comportement des médias sont autant d’entraves pour lesquelles le gouvernement se doit de lutter, afin de consolider l’Etat de droit au Congo.
En vue d’améliorer l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’opinion au Congo, la RPDH recommande à l’Etat de :
- Garantir l’indépendance totale des médias, en assurant l’intégrité psychologique, physique de ses animateurs, ainsi que le financement de ses activités, comme cela se fait avec les partis politiques ;
- Procéder à l’adoption de la convention collective régissant la profession ;
- Publier les textes d’application de la loi n°8-2001 sur la liberté de l’information et de la communication ;
- Assurer le renforcement des capacités des membres de la corporation afin de les rendre plus professionnels ;ceci implique également le recyclage des journalistes dans les technologies de l’information et de la communication;
- Se conformer aux dispositions de la constitution du 20 janvier 2002 et aux différents instruments régionaux et internationaux ratifiés par le Congo en la matière.
Le Bureau Exécutif
Contacts Presse,
Christian Mounzeo, Président 242 595 52 46,
Franck Loufoua-Bessi, Assistant aux programmes, 242 550 45 20
E-mail : rp.dh@laposte.net, Site Web: www.rpdh-cg.org
Notes:
1] Suite à la publication du journal Talassa du mardi 20 mars 2012, le Président du Conseil est montré au créneau, fustigeant publiquement la conduite dudit journal et proférant des menaces de suspension à son encontre et ceux dont les actions viseraient à « troubler la paix dans le pays ». Les membres du conseil se sont rendu ensuite à Pointe-Noire courant Avril, et ils n’ont pas manqué de rappelé à l’ordre les médias de cette localité, en insistant d’observer au cours cette période électorale une « attitude dite responsable » dans l’exercice de leur fonction
2] Les pigistes sont ces journalistes , qui malgré des années d’exercice dans le métier, ne sont guère recrutés, et ne perçoivent pas un salaire en tant que tel
3] Les médias sont dans ces conditions attirés par les reportages dits juteux et dépendent de leur sponsor
4] Non accès régulier à internet, manque de matériel, pas recyclage, faible connaissance des TIC