Brazzaville, 15 nov (IPS) – Geneviève Bouyika, 38 ans, vendeuse de poisson au marché « Total » de Brazzaville, n’a pas pu terminer ses études de sciences économiques pour avoir refusé de coucher avec un enseignant. « Cette situation a bouleversé ma vie, j’aurais pu faire mieux que vendre dans un marché », affirme-t-elle à IPS.
Maryse Mpio, 27 ans, une ancienne étudiante de la Faculté de droit, devenue femme de ménage à Brazzaville, la capitale congolaise, témoigne: « J’ai rencontré un vrai obsédé sexuel qui me menaçait à tout moment; je n’ai pas supporté, j’ai quitté la faculté en 2009, faute de voie de recours ».
De son côté, Fridoline Mboyo, qui affirme avoir passé son baccalauréat
« avec brio », regrette amèrement d’avoir abandonné les études dès la première année de la Faculté des lettres, à la suite d’une « pluie de mauvaises notes » obtenues à cause de son refus de se livrer à un enseignant.
Les trois jeunes femmes ont accepté de faire publier leurs noms, mais elles ont préféré taire ceux des enseignants mis en cause.
Ces cas sont à insérer dans les 29 pour cent d’étudiantes qui abandonnent leurs études à la suite des violences et harcèlements sexuels, selon un rapport validé à la fin-octobre par le ministère de la Promotion de la Femme sur les violences sexuelles dans les établissements d’enseignement supérieur de Brazzaville, et dont copie est parvenue à IPS.
« C’est pour lutter contre les violences sexuelles dans ces établissements, et suggérer des pistes de solution », explique à IPS, Louise Thérèse Botaka-Mengha, directrice générale de la promotion de la femme dans ce ministère.
« Il y a une tendance à la banalisation de ces violences. Le Congo réalise un bon taux de fréquentation des filles à l’école primaire, mais peu d’entre elles terminent à l’université », souligne Constance Mathurine Mafoukila, chargée du programme Genre et droits humains au bureau du Fonds des Nations Unies pour la population à Brazzaville.
Il faut qu’on arrête d’abuser du pouvoir d’enseignant ou d’administratif sur les filles. Nous ne sommes pas des animaux pour laisser se développer une telle perversion, fustige-t-elle.
Cette étude, réalisée par Yolande Berton-Ofoueme du département de géographie de l’université, entre mai et juillet 2010 dans les établissements d’enseignement supérieur de Brazzaville, montre que 42 pour cent de filles, sur un échantillon de 1.467 étudiants interrogés, sont victimes de harcèlements sexuels.
L’Université Marien Ngouabi compte 20.427 étudiants au total.
Parmi les étudiants interrogés, trois étudiantes on révélé avoir été violées, et 44 pour cent ont eu des rapports sexuels forcés avec des enseignants. Une étudiante de la Faculté des sciences économiques est même tombée enceinte, alors qu’une autre a contracté le VIH/SIDA.
Cités par 51 pour cent des filles et 69 pour cent de témoins interrogés, ces enseignants, très en colère, rejettent ces allégations. « Je ne suis pas
concerné par ces bizarreries. Mais j’espère qu’ils ont les preuves palpables, car il ne faut pas dire n’importe quoi », déclare à IPS, Yvon Norbert Gambek, un enseignant du département d’histoire dans cette université.
« Je ne sais pas si c’est vrai! Mais le terme violences sexuelles est très déplacé pour nous. Moralement, ce n’est pas acceptable, les étudiantes ont certainement des hallucinations », déclare, de son côté, Anatole Banga, chef de département de littérature française.
« L’échantillon de l’étude n’est pas assez représentatif, et on arrive à des déductions simplistes », commente à IPS, Ernest Apendi, enseignant de biologie à l’Ecole normale supérieure.
Cependant, les enseignants ne nient pas le phénomène. « Si cela est avéré, mais…les étudiantes sont des majeures consentantes », lance Gambek.
« Et les étudiantes, que ne font-elles pas pour provoquer tout cela? », demande Banga. « Il n’y a pas de fumée sans feu, il doit y avoir des cas isolés », ajoute Apendi.
Déterminés, les étudiants plaident pour l’arrêt de ces pratiques. « Nous sommes coincés par l’absence des preuves. Mais le jour où un enseignant est pris en flagrance, on le chasserait de l’université », prévient Daris Paka, un responsable de l’Union libre des étudiants du Congo.
« Le plus important n’est pas de dénoncer ces faits qui existent. Les chefs d’établissement sont complices en n’appliquant pas le règlement intérieur », déclare à IPS, Roch Euloge N’zobo, de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme, une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Brazzaville.
Bien que l’enquête montre que 24 pour cent des victimes reconnaissent leurs agresseurs, aucune action judiciaire n’est ouverte. Ce qui pousse les victimes à quitter les facultés. « Notre Code pénal est muet sur le harcèlements sexuels. Le juge est obligé de légiférer par assimilation », explique Nina Cynthia Kiyindou, juriste à Brazzaville. « L’absence de preuve décourage les victimes », ajoute-t-elle.
« L’impunité, qui couvre ces actes criminels, contribue à pérenniser ces pratiques à l’université », dénonce Christian Mounzéo, président de la Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme, une ONG basée à Pointe-Noire, la capitale économique du Congo.
Le ministère de la Promotion de la Femme envisage de créer des cellules d’écoute et de mettre en service un numéro vert de téléphone pour venir en aide aux victimes. « Il n’y a pas que les filles, même les garçons subissent ces violences », affirme Botaka-Mengha.
En effet, selon cette enquête, 38 pour cent de garçons subissent les menaces de redoublement. « J’ai passé quatre sessions d’examens sans succès parce qu’un prof me soupçonnait d’empêcher une fille de sortir avec lui. J’ai quitté la faculté sans ma licence », regrette Fulgence Moukani, un ancien étudiant en journalisme.
« Ce cercle vicieux doit faire l’objet de dénonciation et de répression pour redorer l’image de l’université ternie par ces enseignants sans morale », suggère Mounzéo. « Les femmes doivent aller plus loin en faisant adopter une loi sévère qui stoppera ces pratiques malsaines », ajoute Apendi. (FIN/2010)