Paix et Droits de l'homme

Combattre l'injustice et l'arbitraire pour construire la Paix

18 novembre 2010

CONGO : Une enquête pour stopper les violences sexuelles à l’université

Brazzaville, 15 nov (IPS) – Geneviève Bouyika, 38 ans, vendeuse de poisson au marché « Total » de Brazzaville, n’a pas pu terminer ses études de sciences économiques pour avoir refusé de coucher avec un enseignant. « Cette situation a bouleversé ma vie, j’aurais pu faire mieux que vendre dans un marché », affirme-t-elle à IPS.

Maryse Mpio, 27 ans, une ancienne étudiante de la Faculté de droit, devenue femme de ménage à Brazzaville, la capitale congolaise, témoigne: « J’ai rencontré un vrai obsédé sexuel qui me menaçait à tout moment; je n’ai pas supporté, j’ai quitté la faculté en 2009, faute de voie de recours ».

De son côté, Fridoline Mboyo, qui affirme avoir passé son baccalauréat
« avec brio », regrette amèrement d’avoir abandonné les études dès la première année de la Faculté des lettres, à la suite d’une « pluie de mauvaises notes » obtenues à cause de son refus de se livrer à un enseignant.

Les trois jeunes femmes ont accepté de faire publier leurs noms, mais elles ont préféré taire ceux des enseignants mis en cause.

Ces cas sont à insérer dans les 29 pour cent d’étudiantes qui abandonnent leurs études à la suite des violences et harcèlements sexuels, selon un rapport validé à la fin-octobre par le ministère de la Promotion de la Femme sur les violences sexuelles dans les établissements d’enseignement supérieur de Brazzaville, et dont copie est parvenue à IPS.

« C’est pour lutter contre les violences sexuelles dans ces établissements, et suggérer des pistes de solution », explique à IPS, Louise Thérèse Botaka-Mengha, directrice générale de la promotion de la femme dans ce ministère.

« Il y a une tendance à la banalisation de ces violences. Le Congo réalise un bon taux de fréquentation des filles à l’école primaire, mais peu d’entre elles terminent à l’université », souligne Constance Mathurine Mafoukila, chargée du programme Genre et droits humains au bureau du Fonds des Nations Unies pour la population à Brazzaville.

Il faut qu’on arrête d’abuser du pouvoir d’enseignant ou d’administratif sur les filles. Nous ne sommes pas des animaux pour laisser se développer une telle perversion, fustige-t-elle.

Cette étude, réalisée par Yolande Berton-Ofoueme du département de géographie de l’université, entre mai et juillet 2010 dans les établissements d’enseignement supérieur de Brazzaville, montre que 42 pour cent de filles, sur un échantillon de 1.467 étudiants interrogés, sont victimes de harcèlements sexuels.
L’Université Marien Ngouabi compte 20.427 étudiants au total.

Parmi les étudiants interrogés, trois étudiantes on révélé avoir été violées, et 44 pour cent ont eu des rapports sexuels forcés avec des enseignants. Une étudiante de la Faculté des sciences économiques est même tombée enceinte, alors qu’une autre a contracté le VIH/SIDA.

Cités par 51 pour cent des filles et 69 pour cent de témoins interrogés, ces enseignants, très en colère, rejettent ces allégations. « Je ne suis pas
concerné par ces bizarreries. Mais j’espère qu’ils ont les preuves palpables, car il ne faut pas dire n’importe quoi », déclare à IPS, Yvon Norbert Gambek, un enseignant du département d’histoire dans cette université.

« Je ne sais pas si c’est vrai! Mais le terme violences sexuelles est très déplacé pour nous. Moralement, ce n’est pas acceptable, les étudiantes ont certainement des hallucinations », déclare, de son côté, Anatole Banga, chef de département de littérature française.

« L’échantillon de l’étude n’est pas assez représentatif, et on arrive à des déductions simplistes », commente à IPS, Ernest Apendi, enseignant de biologie à l’Ecole normale supérieure.

Cependant, les enseignants ne nient pas le phénomène. « Si cela est avéré, mais…les étudiantes sont des majeures consentantes », lance Gambek.

« Et les étudiantes, que ne font-elles pas pour provoquer tout cela? », demande Banga. « Il n’y a pas de fumée sans feu, il doit y avoir des cas isolés », ajoute Apendi.

Déterminés, les étudiants plaident pour l’arrêt de ces pratiques. « Nous sommes coincés par l’absence des preuves. Mais le jour où un enseignant est pris en flagrance, on le chasserait de l’université », prévient Daris Paka, un responsable de l’Union libre des étudiants du Congo.

« Le plus important n’est pas de dénoncer ces faits qui existent. Les chefs d’établissement sont complices en n’appliquant pas le règlement intérieur », déclare à IPS, Roch Euloge N’zobo, de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme, une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Brazzaville.

Bien que l’enquête montre que 24 pour cent des victimes reconnaissent leurs agresseurs, aucune action judiciaire n’est ouverte. Ce qui pousse les victimes à quitter les facultés. « Notre Code pénal est muet sur le harcèlements sexuels. Le juge est obligé de légiférer par assimilation », explique Nina Cynthia Kiyindou, juriste à Brazzaville. « L’absence de preuve décourage les victimes », ajoute-t-elle.

« L’impunité, qui couvre ces actes criminels, contribue à pérenniser ces pratiques à l’université », dénonce Christian Mounzéo, président de la Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme, une ONG basée à Pointe-Noire, la capitale économique du Congo.

Le ministère de la Promotion de la Femme envisage de créer des cellules d’écoute et de mettre en service un numéro vert de téléphone pour venir en aide aux victimes. « Il n’y a pas que les filles, même les garçons subissent ces violences », affirme Botaka-Mengha.

En effet, selon cette enquête, 38 pour cent de garçons subissent les menaces de redoublement. « J’ai passé quatre sessions d’examens sans succès parce qu’un prof me soupçonnait d’empêcher une fille de sortir avec lui. J’ai quitté la faculté sans ma licence », regrette Fulgence Moukani, un ancien étudiant en journalisme.

« Ce cercle vicieux doit faire l’objet de dénonciation et de répression pour redorer l’image de l’université ternie par ces enseignants sans morale », suggère Mounzéo. « Les femmes doivent aller plus loin en faisant adopter une loi sévère qui stoppera ces pratiques malsaines », ajoute Apendi. (FIN/2010)

Partager

Articles liés

20 mai 2023

En plus des grands producteurs comme le Nigeria et l’Angola, des pays comme le Gabon, le Tchad, le Congo, relancent leur industrie pétrolière, profitant de l’intérêt de grandes compagnies et des grands projets de pipelines en Afrique de l’Ouest et centrale.  

27 juin 2022

Approbation, validation, …. Dans la Lékoumou, entreprises et  administration sont désormais vent debout pour l’aménagement des unités forestières. Une grande première dans ce département où l’exploitation a souvent précédé l’aménagement. Souriant, jovial, décontracté,… Un Fabrice Kimpoutou visiblement satisfait. Tant, « nous avons pu trouver ce que nous étions allés chercher dans le département de la Lékoumou »,...

2 juin 2022

Les participants du 13e Forum sur la gouvernance forestière (FGF), tenu les 23 et 24 mai 2022 à Brazzaville en République du Congo déplorent la gestion opaque des forêts du Bassin du Congo. Une situation préjudiciable au climat ainsi qu’aux économies respectives des pays de la sous-région Afrique centrale. Le 13e Forum sur la gouvernance forestière...

11 janvier 2022

Au Congo-Brazzaville, des populations du département de la Lékoumou découvrent le Centre d’assistance juridique et d’action citoyenne (CAJAC). Et l’instrument proposé par la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH) pour anticiper des antivaleurs comme la corruption, produit déjà des résultats encourageants. Illustration. Tonnerre d’applaudissements, explosion de joie, poignées de main en...

1 juin 2021

Alors que se prépare le sommet du G7 au Royaume-Uni la semaine prochaine, un point domine l’ordre du jour : comment mettre fin à la pandémie de COVID-19 et assurer la reprise dans le monde. Nous faisons face à des difficultés pressantes. Il est désormais clairement établi qu’il n’y aura pas de reprise généralisée tant que...

26 février 2021

« Quelle stratégie mettre en place par les Eglises Catholique et Evangélique du Congo pour le suivi de l’élection présidentielle du 21 mars 2021 ? » Telle est la question à laquelle ont répondu les Responsables de ces deux Eglises lors de leur Concertation sur les élections tenue le 22 février 2021, dans la Salle...

5 octobre 2020

Partout où des chefs d’État cherchent à s’octroyer un troisième mandat ou la présidence à vie, ils développent toutes sortes d’argumentations, la meilleure étant généralement le parachèvement ou la consolidation de ce qu’ils considèrent comme leur œuvre. Sauf qu’aucune nation n’a jamais été entièrement bâtie par un seul homme.

28 juin 2020

Malgré des progrès indéniables, la gouvernance forestière en République du Congo (RC) reste faible. Deux nouvelles études soulignent que seules des réformes radicales pour lutter contre la corruption, accroître la responsabilité et la transparence, renforcer l’application des lois et mieux impliquer la société civile permettront aux forêts congolaises de s’engager pleinement dans la lutte contre...

19 juin 2020

Le respect de tous les droits de l’homme est un pilier de sociétés libres, stables et prospères et l’UE est fière d’être à l’avant-garde de la promotion et de la protection universelles de tous les droits fondamentaux.

24 septembre 2019

Le 3 septembre 2019, le président français Emmanuel Macron (au nom de CAFI, dont la France assure la présidence cette année) et le président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, ont signé un accord déterminant de 65 millions USD visant à mettre en œuvre le Plan d’investissement de la REDD+ et l’utilisation durable des...

10 mai 2019

L’organisation de Bretton Woods a annoncé, ce 9 mai avoir conclu un accord avec le gouvernement du Congo Brazzaville, ouvrant la voie à un programme d’aide, une décision attendue depuis plus de deux ans Un programme du FMI va 《aider la République du Congo à rétablir la stabilité macroéconomique et à  réaliser une croissance plus...