Paix et Droits de l'homme

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14 septembre 2017

gunvor

Publiez ce que vous payez – Congo demande l’ouverture d’une enquête à la suite des révélations du rapport de Public Eye

Publiez ce que vous payez – Congo salue la qualité du rapport « Gunvor au Congo. Pétrole, cash et détournements : les aventures d’un négociant suisse à Brazzaville », publié le 12 septembre 2017 par l’ONG Suisse Public Eye. Cette enquête révèle comment le négociant pétrolier suisse Gunvor a obtenu des contrats de vente de brut à moindre coût auprès de la Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC), notamment en échafaudant un système de préfinancements et de commissions. Le rapport met à jour des preuves qui indiquent que les pratiques de gestion des ressources pétrolières qui ont entraîné le Congo dans la pauvreté n’ont jamais cessé :  

  1. La SNPC continue de vendre le pétrole en dessous du prix du marché, en échange de commissions individuelles ; 
  2. La SNPC continue de gager le pétrole pour financer des dépenses publiques inefficaces, malgré des engagements internationaux le lui interdisant; 
  3. Les marchés accordés à la société brésilienne Asperbras sont entachés de lourds soupçons de corruption et de surfacturation.

 

1.    La SNPC directement responsable d’un manque à gagner pour l’Etat

Dans son rapport, Public Eye cite des témoignages qui décrivent les mécanismes utilisés par la SNPC pour abaisser le prix du brut vendu : la compagnie s’accorde tout d’abord sur un prix de vente avec son acheteur final, et vend la marchandise à un intermédiaire à un prix encore relativement plus bas. L’intermédiaire, à l’image de Gunvor, réalise ainsi une marge très confortable, et reverse en échange de cette faveur des commissions aux agents de la SNPC impliqués dans ces opérations. 

Une fois de plus, des éléments à charge viennent jeter le discrédit sur les activités de la SNPC. La compagnie nationale est pourtant chargée de vendre la part d’huile de pétrole revenant à l’Etat, dont la contrepartie constituait jusqu’en 2014 encore 60% des recettes publiques. La mauvaise valorisation de cette ressource nationale représente un manque à gagner direct pour le budget étatique et pour les Congolais.

Ces révélations ne sont toutefois pas nouvelles, et font malheureusement directement écho au scandale de Sphynx révélé en 2005 par Global Witness. A l’époque, les mêmes mécanismes de vente au rabais à des intermédiaires complices avaient été rendus publics, indexant les principaux responsables de la SNPC. Aucune enquête n’a jamais été ouverte, et aucune sanction n’a été prise par le gouvernement à l’égard des responsables de ces malversations, qui perdurent ainsi jusqu’à aujourd’hui.

Publiez ce que vous payez – Congo réitère également sa demande qu’un audit soit urgemment mené sur les activités de la SNPC, qui rende notamment publiques les données relatives aux ventes de pétrole effectuées depuis 2010, cargaison par cargaison, en indiquant l’identité de l’acheteur ainsi que le prix par baril pour chaque vente. 

La République populaire de Chine,  principal acheteur de brut congolais, doit par ailleurs faire cesser la connivence mise à jour dans le rapport de l’ONG suisse, entre UNIPEC (filiale commerciale de la société nationale pétrolière chinoise), et la SNPC. L’utilisation d’intermédiaires pour l’achat de cargaisons de pétrole dans le but de permettre la rémunération illicite d’agents congolais relèverait de la complicité, si ces pratiques venaient à se pérenniser.

 

2.    Des pratiques de préfinancements pétroliers

L’enquête de Public Eye décrit les flux financiers qui liaient le négociant Gunvor et la SNPC entre 2010 et 2012. Parmi les avantages présentés par Gunvor à l’Etat congolais pour s’attirer ses faveurs, le négociant a accepté de prépayer les cargaisons de pétrole à hauteur de 750 millions de dollars. Au moment de la signature de ce premier accord de prépaiement en 2011, le Congo venait de s’engager auprès du FMI et de ses créanciers, en échange d’un allégement massif de sa dette publique, à entamer de grandes réformes de gestion des finances publiques, parmi lesquelles l’arrêt des préfinancements pétroliers. Les accords de prépaiements prévoyaient ainsi que les fonds soient strictement réservés au développement des activités de la SNPC et non pas utilisés pour financer la dépense publique. L’enquête de Public Eye montre cependant que cet argent a été utilisé pour accorder des marchés publics, notamment à Asperbras. La SNPC a donc bien hypothéqué des ressources pétrolières pour alimenter la dépense publique. 

Une fois de plus, cette question demeure irrésolue malgré les nombreux appels venant de l’intérieur et de l’extérieur du pays. Déjà, en 2002, la Conférence Episcopale du Congo demandait au gouvernement d’arrêter les pratiques de préfinancements pétroliers qui mettaient en danger l’avenir du Congo.

La SNPC continue pourtant aujourd’hui à gager les ressources pétrolières, à l’instar des quantités de brut vendues chaque année directement à la Chine, et dont le produit est ensuite versé sur un compté logé à l’Exim Bank de Chine, à titre de fonds de garantie de remboursement de prêts contractés par le Congo pour la construction d’infrastructures, et en vertu d’un accord dont les détails sont gardés secrets à ce jour. En 2014, 37% de la part d’huile revenant à l’Etat ont été dédiés au remboursement de cette dette. Alors que le prix du baril a lourdement chuté, le poids de cette créance pèse de plus en plus sur les finances publiques, alors même que les investissements effectivement menés grâce à ces fonds et leur impact sur les conditions de vie des Congolais sont difficiles à évaluer.

Le compte sur lequel sont versés ces remboursements doit être audité, tout comme la dette contractée avec la Chine ainsi que tous les marchés qui ont été accordés dans le cadre de cet accord. La Chine, principal acheteur de pétrole du Congo, et dont le rôle a déjà été évoqué plus haut, a le devoir d’encourager le gouvernement congolais à faire la transparence sur l’utilisation des fonds chinois. En facilitant l’accès aux informations nécessaires à ce travail, la République populaire de Chine se distinguerait des acteurs comme Gunvor, qui participe au détournement des richesses publiques.

 

3.    Le système de détournement autour d’Asperbras

Le rapport sur les activités de Gunvor au Congo consacre tout un chapitre aux liens avec la société brésilienne Asperbras, connue pour avoir obtenu d’énormes marchés publics ces dernières années au Congo, tels « Eau pour tous » et « Santé pour tous ». Les faits présentés par Public Eye montrent qu’Asperbras a conclu un partenariat avec Gunvor pour bénéficier des fonds préfinancés par le négociant suisse à la SNPC, qui a résulté notamment en l’attribution du marché de construction de la zone industrielle de Maloukou en 2011. La société brésilienne s’est également vu attribuée des marchés publics sans appel d’offre de montants exorbitants. Le rapport rappelle que le budget du projet « Eau pour tous » revenait à 75 000 euros (49 millions de FCFA) par forage, « une somme cinq à sept fois supérieure à celle nécessaire au Sahel ».

La diversité des champs d’action d’Asperbras (forages d’eau, construction d’hôpitaux, cartographie géologique, bâtiments etc.) soulève en outre des questions sur les véritables compétences et qualifications de la société d’une part, et d’autre part sur l’opportunité pour le Ministère de l’Aménagement du Territoire et des Grands Travaux de lui accorder autant de marchés de grande envergure. Par ailleurs, au cours de son travail de suivi des investissements publics dans le domaine de la santé, Publiez ce que vous payez – Congo a, à plusieurs reprises, questionné le bien-fondé du programme de construction simultanée des hôpitaux généraux dans tous les départements, en interrogeant l’efficacité et l’impact d’un choix budgétaire si coûteux. Ce choix budgétaire est d’autant plus critiquable que les sommes engagées demeurent imprécises.

 

Devant ce nouveau scandale, Publiez ce que vous payez – Congo demande que les agents de l’Etat soupçonnés de réduire sciemment les revenus de l’Etat pour leur propre profit soient relevés de leurs fonctions et que la justice se saisisse de l’affaire pour établir les responsabilités de chacun et les sanctions appropriées. Etant donné la gravité des faits, le gouvernement a le devoir de réagir immédiatement et de démontrer sa volonté de rompre avec les anciennes pratiques, en mettant notamment en application la loi anti-corruption et le code de transparence et de responsabilité dans la gestion des finances publiques. Malgré les innombrables révélations sur les pratiques de détournements de fonds publics des affaires de Sphinx et AOGC, du négociant Philia et de la CORAF ou encore des Panama Papers, aucune enquête n’a jamais été ouverte, laissant toute liberté aux responsables de continuer leurs agissements en toute impunité et au détriment des Congolais. 

 

Publiez ce que vous payez – Congo rappelle solennellement au Fonds Monétaire International (FMI) sa responsabilité dans l’attribution d’un éventuel appui budgétaire au gouvernement congolais et les précautions qu’il doit prendre pour assurer la bonne utilisation de ces fonds, au risque de se rendre complice du détournement des fonds. Le scénario du processus de désendettement du Congo des années 2000 ne doit pas se reproduire: le FMI doit être beaucoup plus vigilant dans ses discussions avec le gouvernement du Congo et poser la fin de l’impunité –comme la priorité absolue du partenariat. Les autorités congolaises doivent, quant à elles, reconnaître leur responsabilité en acceptant que des conditions leur soient imposées, sans recourir au principe de souveraineté nationale, ni s’en prendre à la société civile pour l’avoir demandé. 

 

Publiez ce que vous payez – Congo réitère ses demandes :

·        L’ouverture d’une enquête sur tous les faits de corruption et de détournement de fonds cités dans le rapport de Public Eye ;

  • La réalisation urgente d’un audit sur les activités de la SNPC et notamment les ventes de brut ;
  • L’intégration de la société civile dans les négociations entre le gouvernement et le FMI ;
  • La mise en œuvre des recommandations formulées dans les rapports ITIE depuis 2010 ;
  • La publication des termes du contrat avec la Chine, la réalisation et la publication d’un audit de la dette et du compte recevant le produit des ventes de pétrole à la Chine, ainsi qu’un audit des projets réalisés dans le cadre du partenariat ;
  • La réalisation annuelle d’audits du Ministère de l’Aménagement du territoire et des Grands Travaux pour évaluer la mise en œuvre des projets et engager sa responsabilité en cas de dysfonctionnement ;
  • La transparence et  la réalisation de l’audit de l’épargne pour les générations futures, conformément à l’engagement pris par le Chef de l’Etat en 2006 ;
  • La liberté pour le juge de s’autosaisir en cas de délit  de corruption, l’ouverture de la saisine du juge aux citoyens et la création d’une juridiction indépendante chargée de poursuivre les auteurs des délits financiers ;
  • L’adoption des  décrets d’application  du Code de transparence et de responsabilité dans la gestion des finances publiques pour s’assurer de son opérationnalité, et la mise en place urgente de la structure chargée de faire son suivi ;
  • La  protection des militants anti-corruption, leur indépendance et l’inscription dans l’agenda public du dialogue public-privé comme un des principes sacro-saints de la relation avec le gouvernement, de sorte que le travail citoyen au sein de la société civile ne soit pas menacé par des politiques nationales liberticides et anti-démocratiques. Le FMI devrait veiller à ce qu’aucun militant de la société civile ne soit persécuté en raison de sa prise de position sur les présentes discussions avec le gouvernement du Congo. Il sied ici de rappeler qu’en 2006 dans le même contexte la demande de conditionnalités avant la réduction de la dette avait créé des fortes tensions entre la société civile et le gouvernement. Une telle attitude du gouvernement congolais devrait conduire à la suspension des discussions.

 

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