Commémoration sur fond d’atteintes régulières aux droits fondamentaux
I. Introduction :
A l’occasion de la célébration du soixante sixième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) rappelle qu’au Congo, la nécessité de protéger effectivement les droits de l’homme demeure une préoccupation majeure ; quoi que la Constitution de janvier 2002 affirme « l’attachement » du Congo aux principes des droits de l’homme tels que définis dans la Charte des Nations Unies de 1945, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et consacrés dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981. La mise en place d’un Ministère de la justice et des droits humains avec une direction générale spécialement dédiée à la promotion et protection des droits humains et des libertés, et la création d’une Commission Nationale des Droits de l’Homme ne suffisent pas au regard du contexte de confirmer l’ambition du Congo de faire bonne figure en cette matière.
II. Constats :
- Une force publique de plus en plus nerveuse et stressée
En dépit de la ferveur diplomatique du pays à marquer sa présence au plan international, une recrudescence des violations des droits de l’homme est notoire au fur et à mesure que l’échéance de l’élection présidentielle de 2016 se rapproche. La force publique censée protéger les citoyens agit à contre courant des engagements du pays. Les arrestations et détentions arbitraires sont de plus en plus flagrantes. On note également des cas d’exécution sommaire et extrajudiciaire. Des citoyens sont ainsi victimes d’abus réguliers, en violation des articles 7 et 9 de la Constitution, qui disposent : « La personne humaine est sacrée et a droit à la vie. L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger…Nul ne peut être arbitrairement accusé, arrêté ou détenu. Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’une procédure lui garantissant les droits de la défense. Tout acte de torture, tout traitement cruel, inhumain ou dégradant est interdit ». Dans les centres de détention, les mauvais traitements et la torture sont monnaie courante pour extorquer des aveux, malgré le fait que le Congo ait ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En outre, le fait que le Code de procédure pénale ne prévoit pas de sanctions spécifiques à l’encontre des actes de torture, contribue à la perpétuation de cette pratique.
- Atteintes aux libertés d’opinion, d’expression et de communication :
L’article 19 de la constitution érige en principe sacro saint la liberté d’expression et consacre les libertés d’opinion et d’expression en ces termes : « Tout citoyen a le droit d’exprimer et de diffuser son opinion par la parole, l’écrit, l’image ou tout autre moyen de communication. La liberté de l’information et de la communication est garantie. La censure est prohibée. L’accès aux sources d’information est libre. Tout citoyen a droit à l’information et à la communication ». Pourtant, ces libertés sont constamment ignorées, voire méprisées. En effet, malgré une diversité de titres qui dénote d’une liberté de façade, la réalité des médias est faite de manipulations, d’achat de conscience, de harcèlements, menaces et intimidations. A titre purement illustratif, on peut mentionner les évidences suivantes:
– Le journaliste camerounais Elie SMITH, exerçant à Brazzaville au sein de la chaîne privée MNTV et victime d’agression à son domicile dans la nuit du 9 au 10 septembre 2014, de la part d’individus armés munis de rangers, assimilables à la force publique. Cet acte criminel a été conclu par le viol de la sœur cadette du journaliste. Menacé de mort, ce dernier a assisté passivement au pillage de son matériel professionnel ; acte survenu deux jours après le relai sur les réseaux sociaux par celui-ci d’informations et d’images de partisans de l’opposition molestés par des personnes jusqu’alors non identifiées, au sortir d’un meeting tenu au Palais des Congrès de Brazzaville, le 7 septembre 2014. Sa détermination à poursuivre ses présumés agresseurs et leurs commanditaires supposés devant la justice a conduit à son expulsion immédiate du territoire congolais le 26 septembre 2014, au motif d’après les autorités policières du pays, d’avoir perpétré des actes et propos séditieux et subversifs et entretenu une intelligence avec les puissances étrangères œuvrant contre les intérêts de la République du Congo. Le caractère fantaisiste desdites accusations ne peut que dénoter d’une volonté manifeste d’intimider voire de conditionner les professionnels des médias exerçant librement au Congo.
– Le 11 septembre 2014, une autre journaliste, Sadio KANTE, a été victime d’intimidation de la part de plusieurs haut gradés de la police nationale congolaise, lui reprochant d’avoir relayé à son tour sur les réseaux sociaux, les images de l’agression du journaliste Elie SMITH et de sa sœur. C’est dans ces conditions que le 21 septembre 2014, cette dernière a été expulsée du territoire congolais pour entre autres motifs, défaut de titre de séjour, alors même que la journaliste est congolaise, car née au Congo de parents étrangers. Signalons qu’elle n’en était pas à ses premiers démêlés avec la police. En effet, le 16 septembre 2013, elle fut battue par des policiers au Palais de Justice de Brazzaville alors qu’elle réalisait un reportage sur le procès lié à l’affaire du 4 mars 2012. Ces actes constituent une violation flagrante de la loi n°8-2001 du 12 novembre 2001, sur la liberté de l’information et de la communication, dont l’article 1 prévoit : « La liberté de la presse garantie par la Constitution s’exerce dans le cadre des dispositions de la présente loi qui a pour objet de fixer des règles du droit de l’information, des droits et devoirs des journalistes au Congo ».
- Du rôle ambigu joué par le CSLC dans la protection de l’intégrité des médias :
La RPDH déplore l’indifférence du Conseil Supérieur de la Liberté de Communication (CSLC) face aux turpitudes vécues par la presse au Congo, alors même que cet organe est supposé se charger de veiller au bon fonctionnement de la liberté de l’information et de la communication (articles 161 et 162 de la Constitution du 20 Janvier 2002). La loi n°4-2003 du 18 Janvier 2003 fixe d’ailleurs ses missions, s’agissant notamment de :« suivre les médias et assurer leur protection contre les menaces et entraves dans l’exercice de leur fonction d’information libre et complète ». Or, au lieu de garantir la liberté de communication, le Conseil s’attèle à la restreindre, à travers des suspensions abusives des médias trop critiques du pouvoir ainsi que par des interpellations régulières et des menaces non voilées à l’endroit des journalistes, les suggérant régulièrement d’éviter de diffuser des informations susceptibles « de troubler la paix ». Le point culminant a été atteint avec la fermeture définitive en mai 2014 du journal Talassa ; journal taxé par le CSLC d’avoir posé des actes visant à la manipulation de l’opinion, l’incitation à la violence et l’atteinte à la sureté nationale. Pourtant le CSLC, qui a la mission de garantir la liberté de la presse au Congo, demeure étrangement muet face aux actes de harcèlement et d’intimidation dont font l’objet les journalistes.
- Restriction des libertés de réunion et de manifestation :
La liberté de réunion, bien que garantie par la Constitution n’est pas effectivement respectée. Les groupements politiques désireux d’organiser des réunions publiques doivent préalablement requérir l’autorisation du Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation ainsi que des autorités locales compétentes. Dans la pratique, les autorités opposent le plus souvent une fin de non recevoir à ces requêtes au motif que les réunions ou manifestations envisagées troubleraient l’ordre public. Des obstacles sont érigés à la délivrance des autorisations quand la police n’est pas simplement utilisée pour empêcher la tenue des réunions « non autorisées ».
Ces pratiques sont en parfaite contradiction avec les déclarations officielles du Chef de l’Etat sur la démocratie, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme, notamment lorsqu’il s’exprimait devant la tribune des Nations Unies à New York, à l’occasion de la 69e Assemblée Générale du 26 septembre 2014, en ces termes :« Monsieur le président, Excellences, Mesdames et Messieurs ! Avant de terminer j’aimerais solennellement réaffirmer l’engagement de mon pays en faveur de la promotion et de la protection des droits et libertés fondamentaux de l’homme ainsi que son attachement aux différents mécanismes de protection des droits de l’homme et au processus de l’examen périodique universel auquel nous avons activement participé. C’est dans cet esprit que le Congo s’emploie à enrichir le cadre juridique et institutionnel par le renforcement du système national de promotion et de protection des droits de l’homme avec la pleine participation de la société civile ». Des propos en total déphasage avec la réalité de terrain, qui illustre des violations récurrentes des droits et libertés fondamentaux par ceux-là même qui devaient en garantir une protection effective. Le 07 septembre 2014, soit quelques jours seulement avant l’allocution du Président de la République devant la tribune des Nations Unies, des militants de l’opposition ont été la cible de projectiles lancés par des inconnus alors qu’ils sortaient d’un meeting tenu au Palais des Congrès à Brazzaville. Ce meeting étant autorisé par les autorités préfectorales de Brazzaville, il appartenait à la police de sécuriser non seulement l’intérieur du Palais des Congrès mais aussi les alentours, en vue d’une tenue apaisée de cette activité de l’opposition congolaise qui visait, d’après celle-ci, à dévoiler les manœuvres politiciennes du parti au pouvoir au sujet de l’organisation des élections locales du 28 septembre 2014 et du fameux référendum sur le changement de la Constitution.
Le mardi 4 novembre 2014, des éléments de la police nationale ont dispersé une réunion au domicile de Clément MIERASSA, président du Parti Social Démocrate Congolais (PSDC).Alors qu’ils étaient réunis en assemblée générale, plusieurs membres du Mouvement Citoyen pour le Respect de l’Ordre constitutionnel, une plate forme de l’opposition, ont été arrêtés par des agents de la police nationale en uniforme et en tenue civile. Violant le domicile de Clément MIERASSA, ces derniers ont proféré des menaces à l’encontre de la foule avant de lancer des bombes lacrymogènes en direction des participants. A l’intérieur du domicile, les policiers ont molesté les participants, détruit et emporté des biens mobiliers et immobiliers. Les personnes interpellées, au nombre desquelles les professeurs Anaclet TSOMAMBET, MAKITA-MBAMA, Henri BOUKOULOU et le bloggeur Patrick Eric MAMPOUYA, ont séjourné six (06) jours durant dans des conditions inhumaines dans les geôles de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) à Brazzaville. Cette attaque de la police nationale au domicile d’un responsable de l’opposition est scandaleuse et constitue une violation flagrante des libertés de réunion et de manifestation. De même, le samedi 29 novembre 2014, jour d’ouverture du Sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie à Dakar, l’opposant Paulin MAKAYA a été empêché d’organiser un meeting à Pointe-Noire par les autorités policières dudit département.
III. Conclusions et Recommandations :
La RPDH déplore les violations répétées des droits de l’Homme et des libertés fondamentales au Congo. L’Organisation rappelle qu’aucune démocratie ne peut se construire sans le respect effectif des droits humains en général, et de la liberté de l’information et de la communication, en particulier. Ainsi, aucune restriction injustifiée desdites libertés ne peut être admise dans un Etat qui se veut démocratique. Il est évident que la protection des droits de l’homme ne peut devenir une réalité sans une justice impartiale et des institutions indépendantes. De ce point de vue, l’ampleur de l’impunité, ne laisse nullement de chance à la réalisation des promesses des autorités en matière des droits de l’homme.
Tenant compte de cet environnement, la Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme formule les recommandations ci-après au Gouvernement :
– Se conformer aux dispositions de la Constitution du 20 janvier 2002, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ainsi que de tous les instruments juridiques internationaux pertinents dûment ratifiés par la République du Congo, qui garantissent le respect des droits et libertés fondamentaux ;
– Garantir la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté de réunion en tant que droits fondamentaux de la personne humaine, en mettant un terme immédiat et définitif à toute forme de harcèlement, de menaces et d’intimidations à l’encontre des organes de presse, des journalistes, des membres de l’opposition et de la société civile ;
– Doter les institutions publiques de réels pouvoirs et d’indépendance, notamment celles en charge de réguler les mécanismes de l’Etat de droit au Congo ;
– Promouvoir la liberté de la presse, l’indépendance et le pluralisme des médias, la démocratie, la paix et la tolérance, au même titre qu’une justice indépendante et impartiale ;
– Garantir la tenue libre des activités des partis de l’opposition et de la société civile ;
– Garantir l’intégrité physique et psychologique des journalistes, des leaders politiques et des leaders citoyens ;
Fait à Pointe-Noire, le 10 décembre 2014
Le Bureau Exécutif
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