Comme élément nouveau dans l’affaire Chebeya, les parties civiles brandissent le témoignage du condamné fugitif Paul Mwilambwe, mais le ministère public et les avocats de la République traitent cela de rumeur.
L’affaire de l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana continue à soulever des vagues. Le vendredi 10 août 2012, le Collectif des ONG de défense des droits de l’Homme de la République démocratique du Congo a fait une conférence de presse pour présenter son mémorandum d’où est posée cette question : «Un crime d’Etat ou un défi à ceux qui militent pour la promotion des droits de l’Homme en République démocratique du Congo ?».
Pour asseoir leur argumentation, ils ont rendu public le récit attribué au major Paul Mwilambwe, dont un extrait est repris ci-dessous : «La mort de Floribert Chebeya a été planifiée depuis 2009 moyennant une prime à celui qui réussirait. Quelques éléments du bataillon Simba ont été surtout mobilisés pour cette affaire et bien aussi d’autres services. La liste est tellement longue !».
«Monsieur Floribert Chebeya est effectivement arrivé à l’Inspection générale de la Police nationale congolaise le 1er juin 2010 aux environs de 16 heures 45 minutes suite à un entretien téléphonique avec le colonel Daniel Mukalay qui a chargé le major Christian Ngoy Kengakenga à le recevoir. Avant son arrivée à l’IG/PNC, il a été précédé par le major Christian Ngoy Kenga-Kenga et le colonel Daniel Mukalay.
Lorsque le major Christian est arrivé à l’Inspectorat général de la police, il est venu directement dans mon bureau et m’informa qu’il était accompagné d’un visiteur important qui doit rencontrer le général John Numbi. Floribert était conduit à mon bureau par un policier du bataillon Simba qui était commis à la garde, le chef de poste adjudant Ngoy».
«Dès son entrée dans mon bureau, il a commencé par se présenter et a précisé qu’il avait rendez-vous avec le général John Numbi par le biais du colonel Daniel Mukalay qu’il a appelé au téléphone. S’ennuyant un peu, Chebeya m’a prié d’appeler le général Numbi au téléphone. Pour le satisfaire, j’ai par contre appelé le colonel Daniel Mukalay que je voyais en bas à travers la fenêtre en train de causer avec papa Christophe Mukalay, car mon bureau est à l’étage du bâtiment. Je lui ai dit que Chebeya avait besoin de vous, Il m’a répondu que je lui dise qu’il attend le général qui est en cours de route vers l’IG. Jusqu’à 19h00’, Chebeya était toujours dans mon bureau à l’Inspectorat général de la PNC».
«Vers 19h10’, le major Christian Ngoy est entré brusquement, demandant des excuses à Chebeya, lui disant que le général ne vous recevra pas ici. Il m’a chargé de vous amener à sa résidence et directement Chebeya s’est levé et sorti ensemble avec Christian Ngoy. Il détenait dans ses mains des documents».
Le peloton d’exécution
«Au niveau de la réception du bâtiment de l’Inspecteur général, j’ai entendu des bruits et le système des caméras de surveillance a déclenché en sonnant deux fois et a commencé directement à enregistrer. Et c’est à travers les caméras que j’ai vu, au bas des escaliers, le major Christian et ses 8 policiers du bataillon Simba en train de cagouler Chebeya avec 4 ou 5 sachets plastiques noirs de marque «viva» et l’ont ligoté. Ils l’ont mis dans la Jeep Defender devant la porte d’entrée du grand bâtiment en direction du parking où le général John Numbi parque son véhicule. Mes caméras enregistraient la scène jusqu’au virage du véhicule vers le hangar. A ce moment, j’ai rapidement fermé le bureau et je suis descendu pour suivre la suite. J’ai trouvé dans le hangar le corps de Bazana sans vie et Chebeya continuait à être étouffé avec des sachets plastiques. A la question posée de savoir pourquoi tout ça avec un visiteur du chef ? Le major Christian me répondra que l’ordre est venu de la hiérarchie. Quelques minutes après, Chebeya est mort. Si j’ai une bonne mémoire, Chebeya était habillé en chemise de manches longues, col noir, couleur un peu blanche avec de petites lignes, pantalon un peu gris, soulier noir et ses lunettes, avec beaucoup de cheveux».
«J’ai assisté moi-même à cette tragédie, personne ne me l’a rapportée. L’équipe d’exécution était composée du colonel Daniel Mukalay, du major Christian Ngoy Kenga-Kenga et 8 policiers du bataillon Simba parmi lesquels l’adjudant Jacques Mugabo. Comme j’étais hébergé momentanément dans la maison du major Christian Ngoy Kenga-Kenga et étant mon ami de longue date, avant que ce dernier prenne fuite, dans la nuit du 4 au 5 juin 2010, il m’a appelé dans sa chambre le trouvant en train de pleurer en marmottant : «Je vais vous livrer quelques secrets, Numbi m’a induit en erreur en tuant Chebeya». J’avais longuement parlé avec lui et m’avait dévoilé beaucoup de choses : dossier Bundu dia Kongo, exécution des ressortissants de l’Equateur, assassinat de deux défenseurs des droits de l’Homme et de l’endroit où a été enterré Bazana et autres personnes ressortissants de la province de l’Equateur. Il m’a aussi parlé de la prime de 500 000$us lui proposée dont il n’a reçu que 10 000$us, d’où sa grande déception et a préféré quitter le pays pour une destination inconnue. Mais le Rwanda était le pays qu’il a choisi, car son compagnon dans cet assassinat, l’adjudant Jacques Mugabo, est d’origine Tutsi du Nord-Kivu et a des connaissances au Rwanda. Je précise que le major Christian Ngoy, l’adjudant Jacques Mugabo et les autres policiers ont été amenés à l’aéroport par la jeep de commandement du général John Numbi et embarqués dans un avion JET à destination de Lubumbashi».
«Après l’arrestation du colonel Daniel Mukalay, le 4 juin 2010, la fuite du major Christian Ngoy et ses huit policiers, ainsi que la suspension du général John Numbi, le 5 juin 2010, je continuais à travailler comme d’ordinaire, toujours à l’IG/PNC, car j’avais déjà informé mes chefs supérieurs de ce qui s’était passé la nuit du 1er juin 2010».
«Le 10 juin 2010, le général John Numbi m’avait appelé vers 23h à partir de son numéro privé et m’avait demandé si en tant que témoin de l’événement, j’avais déjà mis au courant d’autres personnes. J’avais catégoriquement nié, mais je n’avais pas compris comment il m’avait encore appelé pour me traiter de traître. C’est là que mon calvaire avait commencé».
«Le 11 juin 2010, j’ai été enlevé vers 20 heures par quelques éléments envoyés par deux conseillers du général John Numbi. J’étais gardé d’abord au domicile de l’un de ces conseillers à Selembao, puis ils m’ont amené dans la résidence privée de l’autre conseiller, à la cité «Mama Mobutu».
Présent à l’IG/PNC, auditionné à l’Auditorat
«Le 13 juin 2010, sous surveillance, j’ai constaté un mouvement suspect dans la parcelle du conseiller. J’ai profité aux environs de 14 heures, au moment où je prenais le repas avec ses gardiens mis à ma surveillance, pour m’échapper en escaladant le mur du devant de la parcelle et je suis allé au village Menkao où je me suis caché pendant plusieurs mois, jusque le jour où j’avais décidé de me rendre devant la justice, le 14 avril 2011. Lorsque j’avais sauté le mur de la clôture, personne ne m’avait pourchassé et tous les passants m’ont vu, car la maison en question est sur la grande route, à plus ou moins 200m du marché Matadi-Kibala».
«Le fait que mon nom était souvent cité au procès comme un évadé et traité comme coauteur de l’assassinat, j’ai décidé de retourner à mon bureau à l’IG/PNC avec espoir que je serais invité comme les autres à comparaître à la Cour militaire de Gombe qui siégeait à la prison de Makala. Plusieurs personnes m’ont vu le matin du 14 avril 2011 à l’IG/PNC. J’y suis arrivé à 6 heures 49 minutes et j’ai parlé avec mes chefs hiérarchiques.
Curieusement, une jeep militaire PM (Police militaire) est venue avec un des commandants PM/ville de Kinshasa pour m’amener à l’Auditorat militaire où j’ai été entendu par le magistrat. Pendant mon audition, le général John Numbi avait appelé 3 fois au téléphone du magistrat et avait demandé que je parle avec lui. En me cédant le téléphone, le général m’a dit que je parle en notre langue maternelle (le Kiluba-Kat). J’ai parlé avec lui comme souhaité et m’avait supplié de ne pas le trahir, car je serais récompensé. J’ai été entendu aussi devant plusieurs autres magistrats de l’Auditorat dont je connais quelques uns. Pendant mes interrogatoires, j’ai tout fait pour que ces magistrats ne sentent pas que j’avais l’envie de dire la vérité à la Cour».
«Après l’Auditorat militaire, j’ai été transféré à l’ANR (Agence nationale de renseignements), d’abord au bureau situé sur l’avenue Nguma (commune de Ngaliema), puis à celui situé sur l’avenue Mwene-Ditu, dans la comme de Gombe, en face de l’Assemblée provinciale de Kinshasa. Pendant 5 jours, j’y suis resté sans manger ni boire, bien cagoulé et menotté aux jambes et aux bras. Le 6ème jour, on m’a enlevé la cagoule en me laissant avec les menottes aux bras, en sous vêtement. Le 28 avril 2011, j’ai été aidé par un agent de bonne volonté pour entrer en contact avec mon épouse à Lubumbashi et avec plusieurs parents à Kinshasa. J’y ai passé trois mois dans des conditions inhumaines et c’est là où j’ai été alerté par un autre agent de bonne volonté que je serai exécuté dans les jours qui suivaient, à Lubumbashi».
«Le 8 juillet 2011, effectivement, j’étais pris de l’ANR vers l’aéroport international de Ndjili, sous escortes par quelques responsables de l’ANR que je connais. Tous, avons embarqué à bord d’un Cargo de la compagnie Trans-Air à destination de Lubumbashi (avec le même escorte). Arrivés à Lubumbashi, j’étais gardé d’abord au cachot du bureau provincial de l’ANR avant d’être transféré dans une maison inhabité et sans lumière, au quartier Golf, dans la commune de Lubumbashi».
«Le 16 juillet 2011, je me suis encore évadé miraculeusement pour me retrouver là où je suis en contact avec plusieurs personnes sur le plan national et international. Je sais que les services me recherchent pour m’éliminer ».
Mais pour le ministère public et les avocats de la République, ce récit est une invention des organisations de défense des droits de l’homme, du cinéaste belge Thierry Michel et des conseils des parties civiles. Il faudrait que le major Paul Mwilambwe vienne faire sa déposition à l’audience de la Haute cour militaire, afin d’être confronté aux propos qui lui sont attribués.