Election présidentielle au Congo-Brazzaville: « Une élection sans légitimité et enjeu réels! »
Le 12 juillet 2009, les populations du Congo Brazzaville sont appelées à élire le nouveau Président de la République pour les sept années à venir. Cet évènement s’organise dans un climat de psychose affectant davantage des populations paupérisées et traumatisées par des épisodes de conflits ultérieurs fondés sur des luttes de pouvoir. Les opérations préélectorales dans ce processus n’ont été ni libres, ni indépendantes et équitables, et ont confirmé l’absence de consensus dans la conduite dudit processus ; d’autant que le gouvernement a tenu à mener les opérations de manière unilatérale, en contradiction avec les pratiques généralement admises et bafouant les normes régionales et internationales en la matière.
La Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) est préoccupée par l’absence de consensus et les intimidations dans l’organisation du scrutin du 12 juillet. Considérant la reproduction des mêmes travers observés dans l’organisation des scrutins respectifs de 2002, 2007 et 2008, la RPDH s’inquiètent des frustrations entretenues au travers de la normalisation des irrégularités, et la privation des populations de leurs droits et devoirs citoyens.
1.Les conditions d’organisation de l’élection :
Au regard de l’environnement dans lequel l’élection est organisée, il est difficile de créditer le processus d’attributs de transparence, de liberté et d’équité.
a.A propos du fichier électoral :
L’examen des documents officiels présentant la répartition du corps électoral tel que réalisé par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation ainsi que la Direction Générale des Affaires Electorales (DGAE), dénote des écarts inexpliqués dans la population électorale entre la partie nord et la partie sud du pays. En effet, il semble que les électeurs dans la partie septentrionale auraient plus que doublé tandis que les circonscriptions électorales dans la partie méridionale auraient largement décru. En comparant le découpage électoral de l’élection de 1992 à celui de 2009, on réalise que pour un nombre total d’inscrits de 1.219.236 sur toute l’étendue du territoire national, les régions de la Likouala, la Sangha, la Cuvette et les Plateaux, situées dans le nord du pays, comptaient 169.184 électeurs, soit 13,9%. Ainsi, si à Brazzaville on dénombrait à ce moment 429.039 inscrits pour un pourcentage de 35,2%, il parait évident que les 49,1% restants représenteraient les autres régions du sud du pays. Aujourd’hui, le fichier électoral établi fixe le nombre d’inscrits pour les cinq départements du nord du pays à 404.486, fruit d’une évolution surprenante et inexpliquée de la population électorale, comme c’est le cas pour la région de la Likouala, passée de 18.911 inscrits en 1992 à 110.546 aujourd’hui ; et la région de la Cuvette centrale, dont l’actuel Chef de l’Etat est originaire, qui comptait 55.059 électeurs en 1992 contre 98.539 actuellement. Dans le sud du pays, à contrario, la dégringolade est vertigineuse, avec, pour exemple, les départements du Kouilou et du Niari, dont les inscrits sont passés respectivement de 252.817 en 1992 à 62.662 en 2009 et de 112.706 en 1992 à 65.378 en 2009. Ces différences, aussi bien injustifiées que scandaleuses, sont de nature à conforter une certaine idée au sein de l’opinion selon laquelle le pouvoir s’est arrogé des électeurs fictifs en vue de la réélection de son candidat. D’après une source de la Commission Nationale d’Organisation des Elections (CONEL) ayant requis l’anonymat, pour la ville de Dolisie, ce sont 4000 électeurs qui ont manqué à l’appel et n’ont pas été pris en compte lors des opérations récentes de révision du fichier électoral.
Or, le fichier électoral est un élément déterminant d’un processus électoral sain et de la fiabilité des résultats.
b.Des organes chargés de l’organisation de l’élection :
La CONEL et la DGAE ont la responsabilité de l’organisation du scrutin. Ces structures ne garantissent ni neutralité ni liberté, ni équité. Les élections de 2002, 2007 et 2008 ont été reconnues par des observateurs internationaux comme non transparentes et irrégulières. Cet instrument, dont les limites ont été démontrées, s’appuie sur de multiples opérations de révision du fichier électoral défaillantes à chaque fois. Aujourd’hui encore, ces structures sont restées silencieuses aux revendications légitimes de l’opposition sur les irrégularités du fichier électoral, et plus généralement sur les préalables d’un processus juste. Par ailleurs, leur composition ne garantit nullement leur indépendance, et encore moins leur capacité à remettre en cause un processus inique ou des résultats favorables à l’actuel chef de l’Etat. En dépit de nombreuses irrégularités constatées dans l’organisation des processus électoraux, la Conel a toujours délibéré à la décharge du gouvernement, comme si en définitive, les irrégularités évoquées ont toujours été fictives ou non avérées.
2.Des rapports pouvoir- opposition
Ces derniers mois, le gouvernement a tout mis en œuvre pour restreindre l’utilisation des medias publics par l’opposition. Il a suscité des dissensions au sein des partis de l’opposition pour mieux les instrumentaliser. Cette confiscation des libertés par le pouvoir s’est traduite de diverses façons: non accès des partis d’opposition aux médias d’Etat et à certains autres médias privés locaux, obstruction à la tenue de meetings, intimidations, menaces, harcèlement, etc.
L’absence de consensus et le rejet de toutes les doléances logiques de l’opposition en faveur des conditions à réunir en vue d’un processus électoral libre et transparent, fait penser que la présidentielle de 2009 risque de manquer de légitimité.
Le pouvoir n’a pas intégré la nécessité d’un véritable dialogue avec les partis d’opposition. Pour exemple, la Commission Electorale Indépendante tant réclamée n’a jamais vu le jour, l’opposition et la société civile indépendantes ont toujours été exclues du processus d’organisation des élections. La concertation politique tenue du 14 au 17 avril 2009 à Brazzaville s’est soldée par un échec car au lieu d’atteindre les objectifs qu’elle s’était assignée, une partie de l’opposition s’était retirée et le consensus recherché sur l’élection n’a pu être obtenu.
La Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme (RPDH) rappelle que le gouvernement actuel, alors à l’opposition en 1997, revendiquait tel que c’est le cas aujourd’hui des élections libres et une commission électorale véritablement indépendante. Ces attentes ne peuvent donc à ce jour lui paraître étrangères et dénuées de fondement au regard des pratiques électorales des dix dernières années.
3.De la validation des candidatures à la présidentielle:
La Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur de l’élection présidentielle. En ce sens, elle a procédé à l’annulation de 4 des 17 candidatures retenues pour la circonstance, sur la base du non respect par ces 4 candidats de certaines dispositions constitutionnelles, comme l’article 58 de la Constitution du 20 Janvier 2002, sur la limite d’âge et l’obligation de résidence simultanée sur le territoire national durant au moins les deux années précédant le dépôt de candidature. La RPDH constate avec amertume que la Cour Constitutionnelle semble peu équitable dans ses avis et son interprétation des violations de la constitution se fait de manière partiale. En effet, elle a ignoré de nombreuses et flagrantes violations de la Constitution congolaise par le gouvernement, violations qui auraient pu conduire à l’invalidation de la candidature du Président sortant. Les prescriptions de l’article 48 par exemple sur la déclaration du patrimoine par des hauts fonctionnaires n’ont jamais suscité une réaction de sa part. De même, à l’issue des élections législatives chaotiques de 2007 et locales de 2008, reconnues comme tel tant par les observateurs locaux et internationaux que par le Gouvernement lui-même, l’institution régulatrice n’a pas pris la responsabilité, au regard des irrégularités multiples et avérées et de la contestation née des résultats, de statuer sur l’invalidité et sur la non-conformité dudit processus, tel que prévu dans les articles 99 et 147 de la Constitution congolaise. Cela remet en cause son indépendance. Cette institution, qui fonctionne à deux vitesses, donc au service du pouvoir a failli une nouvelle fois à son obligation de dire le droit en toute neutralité et ne pourrait que très difficilement se prononcer objectivement sur le contentieux électoral.
4.La confiscation des moyens de l’Etat au profit d’un seul candidat :
Le Président sortant, candidat à sa propre succession, profite de sa position pour abuser des moyens de l’Etat au détriment des autres candidats. Tel a été le cas par exemple avec la mobilisation de la force publique, la dévotion des medias publics à sa campagne personnelle etc. A telle enseigne que la confusion est perceptible quant à sa dénomination : » Président-Candidat ou Candidat-Président « . Cette disproportion des moyens de campagne au détriment des autres candidats laisse croire que l’élection s’organise sur la base d’une candidature unique. La RPDH estime que de tels agissements nuisent considérablement à la notion d’équité qui constitue un autre des fondements d’une élection démocratique et ils auront forcement un impact sur les résultats.
Considérant le fait que la convocation du corps électoral pour le 12 juillet n’a pas été suivie par l’annonce d’un deuxième tour le cas échéant, la propagande gouvernementale sur une supposée élection dès le premier tour ressemble à une manipulation censée conditionner les esprits pour accepter une victoire dans ces conditions. Les résultats connus d’avance font de ce processus un véritable non événement. La RPDH regrette que de nombreuses ressources publiques aient été déployées pour une élection sans enjeu et sans compétition réelle, et craint que les résultats n’anesthésient davantage le souverain primaire dont la volonté de changement est simplement raillée par le pouvoir.
La Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme considère que dans les conditions actuelles, l’élection du Président de la République manque de légitimité. Les populations y voient simplement une source de conflit et non une opportunité pour plébisciter le nouveau Président. » En démocratie, l’objectif de l’élection n’est pas seulement de gagner à tout prix, mais gagner grâce à une reconnaissance populaire, à un réel transfert de souveraineté par le souverain primaire « , a dit Christian Mounzeo, Président de la RPDH
La RPDH recommande :
Au Gouvernement congolais de :
-Procéder pour l’avenir à la revue de la loi électorale et par conséquent du fichier électoral de manière transparente et consensuelle en vue d’un découpage électoral adéquat et d’une répartition plus réaliste et juste du corps électoral;
-Garantir la participation équitable des candidats en leur affectant des moyens égaux ;
-Instaurer une Commission électorale véritablement indépendante ;
-Donner effet à la loi sur le financement des partis politiques ;
-Jeter les bases d’un dialogue stable et réel avec l’opposition en vue d’un consensus sur la tenue des élections;
-Garantir aux congolais des élections libres, claires et indépendantes en respectant ses propres engagements internationaux en la matière.
A la communauté internationale de:
-Demeurer vigilante face à la situation sociopolitique actuelle au Congo Brazzaville, particulièrement dans le contexte préélectoral, électoral et post-électoral ;
-Veiller à la mise en œuvre des directives internationales en matière d’élections justes, pacifiques et transparentes et équitables.
Fait à Pointe-Noire le 11 juillet 2009