Si les textes en vigueur au Congo-Brazzaville protègent intégralement les éléphants, la législation congolaise ne prévoit pas des mesures adéquates pour réparer les dégâts subis par les humains du fait de ces géants de la forêt. D’où la nécessité de mener de profondes et minutieuses réflexions à l’effet de trouver des solutions durables et définitives à cette situation jusqu’ici défavorable à l’humain.
Dans le cadre de l’exécution du Programme norvégien pour le climat et la sauvegarde des forêts tropicales (NICFI, Norway’s International Climate and Forest initiative en anglais), une équipe de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH) a mené du 20 au 25 mars derniers une série de sensibilisation dans six villages du département du Kouilou. Il s’agit de Manzi et Louvoulou dans le district de Kakamoeka, de Doumanga dans le district de Mvouti, de Ntombo dans la sous-préfecture de Hinda, de Yanika et Longo-Bondi dans la sous-préfecture de Madingo-Kayes.
C’est justement dans ces deux derniers villages proches du Parc national de Conkouati-Douli (PNCD) que le problème de la difficile cohabitation avec les éléphants a été posé avec acuité. « Nous sommes devenus prisonniers du riz, parce que nos champs de manioc sont souvent ravagés par les éléphants », déplore Gertrude Mvoubou, habitante de Longo-Bondi. « On nous interdit d’abattre les éléphants, alors qu’ils nous causent du tort. C’est comme si les éléphants avaient plus de droits que nous les humains », s’exclame Brice Loemba de Yanika.
Pourtant, Yanika et Longo-Bondi comme bien d’autres bourgades telles que Mpella, Cotovindou sont situés dans la zone d’écodéveloppement prévue par l’administration pour mener des activités agricoles et cynégétiques pour des besoins d’autosubsistance. D’autres localités telles que Tchibota et Poumbou sont dans la zone tampon. Mais le géant mammifère ignore totalement ces limites tracées par l’administration à l’effet d’éviter toute friction avec l’humain.
Des textes défavorables aux humains ?
Le malaise est donc profond. Non seulement dans le Kouilou, mais aussi dans d’autres villages du Congo tels que Mokina, Mbaya et Mavounoungou dans la Lékoumou où la RPDH a enregistré les mêmes lamentations en décembre dernier dans le cadre du même projet. Lequel projet vise principalement à favoriser une implication active des CLPA à la mise en œuvre de nouvelles politiques de gouvernance forestière et climatique au Congo.
Des politiques qui font la part belle aux animaux, ainsi qu’en témoignent des textes comme la loi 37-2008 du 28 novembre 2008 sur la faune et les aires protégées et l’arrêté 32/82 du 18 août 1991 portant protection absolue de l’éléphant en République du Congo. Sans oublier l’Acte 114/91 de la Conférence nationale souveraine portant interdiction de l’abattage des éléphants au Congo.
Et si ces lois sont souvent saluées aussi bien pour leur forme que pour la pertinence de leur contenu, parce que proposant des solutions transversales, il semble qu’il y ait un véritable vide s’agissant des alternatives, mieux encore des solutions aux dégâts causés par les animaux en général et les éléphants en particulier.
Ce qui explique que les services déconcentrés de l’État éprouvent toutes les peines du monde à répondre aux sollicitations des communautés rurales pour obtenir réparation aux dommages subis du fait des éléphants. « Lorsqu’il y a des dégâts, nous les évaluons et envoyons les rapports au sous-préfet. Il envoie à sa hiérarchie », explique Flavien Tchibinda, chef du village de Yanika.
« En ce qui nous concerne, après les dégâts d’éléphants, nous descendons pour les évaluer afin que les indemnisations soient effectuées. Nous envoyons des rapports au ministère des finances pour débloquer les fonds. Malheureusement, ces rapports sont restés lettre morte », déplorait en décembre dernier, un cadre de la direction départementale de l’agriculture de la Lékoumou.
Réactualiser le barème d’indemnisation
Et même si l’on indemnisait, le barème est jugé caduc et donc ne répond plus aux réalités actuelles. « C’est un barème de 1986. Au terme de ce décret présidentiel portant « Barème d’indemnisation en vigueur en cas de destruction des plantes en République populaire du Congo », une bouture de manioc est compensée à 37 francs CFA (0,05 euro), un pied de manguier à 60 000 francs CFA (environ 9 euros) », déplore Fabrice Séverin Kimpoutou, chargé de la recherche au sein de la RPDH.
« Sous d’autres cieux, les barèmes ont été réactualisés comme au Tchad et au Cameroun où un manguier est compensé à près de 500 mille francs CFA. Il faut donc qu’on pense à réactualiser nos textes », suggère Franck Loufoua Bessi, chargé des programmes à la RPDH.
Et d’où viendront les fonds ? De nombreuses options sont envisagées. On peut par exemple « créer un fonds spécial qui sera chargé de dédommager les personnes dont les cultures sont dévastées par les éléphants », propose Nina Kiyindou, membre de l’OCDH.
Les nouvelles politiques agricoles ou forestières en cours d’élaboration devraient prendre en compte cet épineux problème de la difficile cohabitation hommes-animaux.
John Ndinga-Ngoma